Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Archives
Newsletter
9 avril 2015

Libéral, libertaire ou libertarien ? Ping-pong linguistique et foire d’empoigne sémantique

Il y a quelques jours, j’ai été fort agacé à la lecture d’un article du Figaro, et d'autres articles du même acabit, qui, annonçant la candidature de Rand Paul aux primaires républicaines, qualifièrent celui-ci de « libertaire ». Cette erreur, qui n’était en fait qu’un copié-collé de celle de l’AFP, est persistante malgré l’entrée au Larousse du mot « libertarien ». Et la confusion est pour moi l’occasion de revenir sur le bien-fondé de l’emploi de ce mot de « libertarien », et plus largement d’éclairer sur sa signification ceux de mes lecteurs qui ne la connaîtraient pas déjà.

Il se trouve en effet de nombreux libéraux, en France, pour critiquer l’emploi du mot « libertarien », qu’ils trouvent laid et auxquels ils préfèrent le traditionnel « libéral » ; « libéral » qui, dans son juste sens, traduirait selon eux mieux que « libertarien » le mot anglo-saxon « libertarian ». En plus d’être laid (selon eux) libertarien serait en outre inutile, et donc facteur de confusion, précisément avec le mot libertaire, qui chez nous ne désigne pas les libéraux défendant le respect du droit de propriété, mais des anticapitalistes collectivistes ne s’intéressant qu’à la liberté des mœurs.

C’est un fait connu qu’aux Etats-Unis, « liberal » ne désigne plus, depuis un demi-siècle, des libéraux au sens que ce mot a originellement, mais des sociaux-démocrates. C’est pourquoi les libéraux « traditionnels » américains se sont trouvés, pour se distinguer de leurs homonymes socialisants, le nom de « libertarian » qui est lui-même l’anglicisation du mot français « libertaire ». D’où la confusion médiatique de nos journalistes peu instruits du sujet, car si « libertarian » est une récupération par la langue anglo-saxonne d’un mot français, ce n’est pas une traduction, et le processus n’est donc pas réversible : si l’on traduit, comme cela a été fait au sujet de Rand Paul ou de son père Ron, le « libertarian » en « libertaire », on transforme un libéral en libertaire qu’il n’est pas.

Faudrait-il donc traduire par « libéral » ?

Je vois deux objections à cela : d’abord, ceux qui se qualifient de « libertariens » sont une catégorie particulière de libéraux : il s’agit de radicaux évoluant entre minarchisme et anarcho-capitalisme, et qui rejettent par principe un certain nombre de mesures promues par les libéraux non-libertariens : le contrôle de l’Etat sur la monnaie, la distribution d’un revenu universel ou encore la mise en place du chèque-éducation (liste non exhaustive). Pour les libertariens, tout comme ce fut le cas aux Etats-Unis, le mot « libéral » est de plus en plus usurpé, en France, par des individus qui sont, par rapport à eux, des étatistes.  Le fait que ce glissement ne paraisse pas encore définitif laisse espérer à certains libéraux radicaux de pouvoir conserver pour eux le mot de « libéral », et ils récusent par conséquent l’emploi de libertarien qu’ils considèrent comme une capitulation, un abandon du mot « libéral » à des gens qui en trahissent l’héritage. Mais cela me semble une erreur, car le vocabulaire ne fait jamais marche arrière : on n’inverse pas un glissement sémantique. Au mieux, l’on parvient à maintenir, parallèlement à l’usage nouveau, l’usage ancien, mais ce n’est pas une victoire : l’on ne fait alors qu’entretenir une confusion très préjudiciable à la défense de ses idées, qui se trouvent assimilées avec tout un tas d’idées qui n’ont rien à voir.

Ensuite il faut voir que le libertarianisme est un mouvement international dynamique, et en plein essor. Il est parti des Etats-Unis, d’où s’est imposé le terme de « libertarian ». Adopter le terme en le francisant en « libertarien » est le moyen de s’inscrire dans ce grand mouvement. Et comme je l’expliquais récemment, s’opposer à cette francisation au prétexte que l’on disposerait déjà du mot « libéral » n’est pas un argument linguistique convaincant : jusqu’au XIXe siècle, l’on parlait d’aisance, d’agrément, de commodité, quand s’est imposé le mot anglais de « comfort », que l’on a francisé en « confort », lequel est devenu hégémonique dans le langage courant, au point que les autres sont aujourd’hui désuets, et très peu usités. Or, « comfort » venait lui-même du français « conforter », mot qui avait en ancien français le même sens qu’aujourd’hui, à savoir « secourir, aider » ; et en ancien français, le mot de « confort » désignait naturellement le « secours, aide » ; aujourd’hui, on dirait renfort. Il s’agit là du même genre de ping-pong linguistique entre anglais et français qui a accouché de « libertarien ». Et de la même façon que malgré un « confort » signifiant « aisance, bien-être », « conforter » signifie toujours « secourir, aider, renforcer », il ne serait pas aberrant qu’un mot signifiant à l’origine « libertaire » soit employé aujourd’hui, sous une forme légèrement différente, et dans un autre sens.

Ajoutons que, dans ce mouvement « libertarien » international, de nombreux libéraux ne se reconnaissent pas… Et ceux-là sont d’ailleurs hostiles au mot « libertarien ». Par conséquent, le mot en lui-même, jusque dans la contestation de son utilité, distingue effectivement des choses qui ne sont pas équivalentes.

Si l’on doit résumer, donc, tout libéral n’est pas libertarien, mais tout libertarien est un libéral. Et c’est précisément ce qui, malgré la convergence dans certaines idées, interdit de confondre libertaire et libertarien.   

Historiquement, entre libéraux et libertaires, il n’est pas question que de positions idéologiques différentes, de préoccupations distinctes : le libéralisme est une philosophie du droit, neutre au plan moral, tandis que l’idéologie libertaire est une morale. Les deux peuvent converger sur certains points, par exemple en disant que l’Etat n’est pas légitime à règlementer le mariage ; mais là où les libertaires clameront que l’amour doit être libre, les libéraux diront que chacun peut avoir sa conception ; idem en matière économique : là où les libertaires promeuvent des économies sous forme de coopératives, ou d’exploitations collectives, les libéraux affirment un unique principe, le respect de la propriété privée, sur la base duquel divers systèmes peuvent être volontairement construits. Bref, les libertaires défendent un ou des modèles d’organisation quand les libéraux défendent la liberté individuelle de choisir un modèle.  En d’autres termes, l’idéologie libertaire est un constructivisme, et ce n’est pas un hasard si socialisme et libertarisme sont nés dans le même milieu anarcho-socialiste au XIXe siècle : au fond, le libertarisme est un socialisme.

C’est pourquoi l’expression libéral-libertaire est absurde. Elle vient de la mécompréhension de ses détracteurs qui pensent que le libéralisme est une idéologie se souciant de la liberté économique et le libertarisme une idéologie se souciant de la liberté morale, interprétation erronée liée à une conception tout aussi erronée du clivage gauche-droite.

Un problème important posé par cette association douteuse de libéral-libertaire, et de la confusion de « libertaire » avec « libertarien » est qu’elle détourne du libéralisme radical un grand nombre d’individus attachés à des valeurs morales rejetées par les libertaires : ils s’imaginent que les libertariens, qui refusent la contrainte étatique en matière morale, défendent ce faisant des moeurs libres ; alors qu’en vérité, les libertariens n’en parlent pas : ils sont certes pour la dépénalisation des drogues, pour la désétatisation du mariage, mais ne promeuvent pas pour autant la consommation de drogue ou l’union homosexuelle ; répétons-le : sur le fond de ces questions, le libéralisme est neutre. Et de ce fait, spécifiquement dans sa version radicale, libertarienne, le libéralisme est capable de séduire les partisans de l’amour libre comme les partisans de l’ordre moral, dès lors qu’ils admettent le droit de propriété légitime comme limite naturelle de leurs exigences.

Sauf à être vraiment réticent à l’emploi d’un mot au seul prétexte qu’il viendrait de l’anglais ( la position n’est pas nouvelle : dans l’Antiquité, l’atticisme prétendait défendre la langue grecque, et précisément son dialecte athénien classique, contre l’invasion des mots latins, considérés comme « barbares »), acceptons donc ce « libertarien », qui dit bien ce qu’il veut dire, et désigne ce qu’aucun autre mot ne désigne aussi spécifiquement.

Publicité
Commentaires
C
Pour alimenter le débat (relatif à l'article d'origine) :<br /> <br /> http://fr.liberpedia.org/Libertarien<br /> <br /> +<br /> <br /> http://fr.liberpedia.org/Lib%C3%A9ral-libertaire
Répondre
R
Tiens, je parlais de la propension des différents peuples à faire la queue ou à ne pas la faire, comme d'une observation de bon sens expliquant pourquoi une société avait besoin d'une morale partagée par tout le monde (ce que les libertariens appellent "imposer sa morale aux autres"). Je viens de tomber sur un témoignage historique illustrant parfaitement cette observation.<br /> <br /> <br /> <br /> Vers la fin de la Seconde guerre mondiale, juste après le Débarquement, des soldats allemands avaient été faits prisonniers en Normandie par les Américains. Ils avaient été transférés dans un camp près d'Utah Beach.<br /> <br /> <br /> <br /> Là, les officiers les avaient regroupés par nationalités. Par nationalités ? Oui, car parmi eux, il y avait des soldats géorgiens, turkmènes et azerbaïdjanais, qui avaient accepté de se joindre aux troupes nazies lors de l'offensive de l'Est, par haine de Staline. Certains s'étaient retrouvés en France, pays qu'ils auraient été bien en mal de situer sur une carte...<br /> <br /> <br /> <br /> La suite est racontée par un soldat allemand, témoin direct des faits. Les gardiens américains ont appelé les prisonniers pour une distribution de rations alimentaires. Les Allemands se sont mis spontanément à faire la queue, sans que personne ne leur ordonne quoi que ce soit. Les Asiatiques ont commencé à se disputer, puis à se bagarrer, et finalement se sont rués sur la nourriture dans une mêlée indescriptible, certains parvenant à arracher plusieurs rations, alors que d'autres n'arrivaient même pas à mettre la main sur une boîte de rata.<br /> <br /> <br /> <br /> Voilà : même endroit, même moment, même statut, mêmes circonstances... et pourtant, les différents peuples et races se comportent de façon radicalement différente.<br /> <br /> <br /> <br /> Naturellement, les officiers américains se sont rendus coupables de "racisme" en regroupant les prisonniers nazis par nationalités. Aujourd'hui, ils seraient dénoncés pour "discrimination". A l'époque, il allait de soi pour tout le monde que cette décision "raciste" était une bonne chose, car elle permettait de maintenir l'ordre : certes les Asiatiques se foutaient sur la gueule, mais, pour eux, c'était naturel, c'était leur façon normale de procéder. Ca ne les gênait pas plus que ça . C'est faire la queue qu'ils auraient ressenti comme une insupportable oppression.<br /> <br /> <br /> <br /> Et pendant ce temps-là, les Allemands pouvaient jouir en paix de leurs moeurs à eux, faire tranquillement la queue pour récupérer leurs rations à coup sûr et sans stress, alors qu'ils auraient été considérablement gênés s'ils avaient dû subir la pagaille des sauvages asiates.<br /> <br /> <br /> <br /> Conclusion : non, la morale n'est pas un truc en libre-service à la discrétion des individus, et le "racisme" est une bonne chose, pour nous comme pour les "autres".<br /> <br /> <br /> <br /> Source : Wolfram, the Boy who Went to War, par Giles Milton, Sceptre, Londres, 2011.
Répondre
R
Autre illustration du fait que chacun ne peut pas choisir la morale qui lui convient : la queue.<br /> <br /> <br /> <br /> Dans la plupart des sociétés occidentales, on fait la queue. Dans la plupart des pays du Tiers-monde, c'est le contraire : le comportement normal consiste à s'agglutiner et à jouer des coudes pour passer le premier.<br /> <br /> <br /> <br /> Si vous mettez des individus qui "choisissent leur propre morale" consistant à passer devant tout le monde au milieu d'individus qui "choisisent leur propre morale" consistant à respecter spontanément la règle "premier arrivé, premier servi", que va-t-il se passer, à votre avis ?<br /> <br /> <br /> <br /> Et dans ce cas, quel est le remède ? Inciter chacune des personnes qui attend à signer un contrat libre de droit privé avec chacun de ses voisins afin de déterminer l'ordre de passage ? Les inciter à créer une association, avec un président, un secrétaire et un trésorier, laquelle signera à son tour un contrat libre de droit privé avec une police privative qui fera régner l'ordre, mais uniquement après avoir consulté le cadastre pour déterminer le "droit de propriété" de chacune des personnes qui attend sur le bout de rue en cause ? Appeler la police d'Etat, porter plainte et attendre que l'affaire aille en cassation ? Craquer, sortir un flingue et tirer sur tout le monde ?<br /> <br /> <br /> <br /> Qu'est-ce que Hayek a d'intelligent à dire sur le sujet ?<br /> <br /> <br /> <br /> Chacun voit bien qu'il ne s'agit pas là d'une spéculation théorique, mais d'une situation bien réelle, dont on peut trouver maints exemples similaires.
Répondre
A
"Bref, les libertaires défendent un ou des modèles d’organisation quand les libéraux défendent la liberté individuelle de choisir un modèle. En d’autres termes, l’idéologie libertaire est un constructivisme, et ce n’est pas un hasard si socialisme et libertarisme sont nés dans le même milieu anarcho-socialiste au XIXe siècle : au fond, le libertarisme est un socialisme." Voilà qui en dit peu, mais suffisamment pour constater que je ne suis pas libertaire...La confusion en tre libertaire et libertarian est amusante aussi. Bref et comme je le dis toujours; Je n'aime pas qu'on me colle une étiquette et je ne vais pas bosser pendant des lunes pour comprendre toutes les nuances de ces mouvements pour voir auquel j'appartiendrais...Je m'en moque. Je défends la liberté, l’individu et les valeurs naturelles, ma démarche est un pragmatisme basé sur mon expérience de chef d'entreprise, donc de la réalité, le reste c'est du blabla. Cela étant, je n'interdis pas aux gens de blablater sur ce sujet si ça les intéresse. Un jeune homme un peu insolent avait écrit sur "Capitalisme et Liberté" que ma culture politique était nulle, quant à lui, si on lui pressait le bout du nez, il en sortait encore un peu de lait...Je ne lui ai pas dit pour ne pas le vexer. Pour conclure, voici un excellent article qui explique qu'enculer les mouches ça ne sert à rien, il faut rester pragmatique, c'est ce que je fais et je revendique aussi fièrement le titre "d'inculte en politique". Je ne sais qu'une seule chose TOUTES LES FORMES de SOCIALISMES sont mauvaises...
Répondre
D
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> On vient de me recommander votre site : Excellente pioche et excellente remise au point des choses.<br /> <br /> <br /> <br /> On pourrait aussi disserter sur le recopiage de tous les quotidiens et hebdos de la dépêche pour le moins médiocre de l'AFP... Autre sujet d'intérêt pour le libéral agacée par cet organe de quasi-propagande.<br /> <br /> <br /> <br /> Cdlt
Répondre
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
  • Blog de Philippe Fabry, historien-théoricien. Ce blog reprend notamment ses travaux relatifs aux "lois de l'Histoire" et leur emploi pour mieux analyser le monde actuel. Tous les articles sont librement reproductibles, avec la mention www.historionomie.com
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 507 365
LES LIVRES

LA STRUCTURE DE L'HISTOIRE

Présentation du livre sur ce blog

Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon

ROME, FROM LIBERTARIANISM TO
SOCIALISM

Kindle only

Sur Amazon.fr (€)
Sur Amazon.com ($)
Sur Amazon.co.uk (£)

ATLAS DES GUERRES A VENIR

Finale
Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)

Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview sur RFI dans l'émission Géopolitique, le Débat
Interview sur Kernews

HISTOIRE DU SIECLE A VENIR

livre146

Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)
Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview par Franck Ferrand sur Europe 1
Interview par Frédéric Taddéi sur Europe 1
Interview par Martial Bild sur TV LIbertés
Interview par Louis Daufresne sur Radio Notre-Dame

Interview sur Atlantico

"Voici un livre qu'il faut lire", Matthieu Delaygue, La Revue de l'Histoire
"Une nouvelle lecture passionnante" PLG, pour Contrepoints
"Ce livre mérite d'être lu" Laurent de Woillemont, pour Enquête et Débat

Articles du blog complétant le livre :
La date de la prochaine guerre mondiale
La prochaine guerre mondiale : peu probable avant 2017, après, oui
Pourquoi l'UE va éclater
La société de demain : un bref aperçu
Vers la plus grande guerre de tous les temps
Le Président, le Führer et l'Empereur : trois occurences de l'illusion tellurocratique en Europe

ROME, DU LIBERALISME AU SOCIALISME

Romedulib

Livre récompensé par le Prix Turgot du Jeune Talent et le Prix du Livre Libéral 2014 de l'ALEPS

SE PROCURER LE LIVRE :


Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon
Au format Ebook

QUELQUES RECENSIONS DU LIVRE :

"Un grand livre" Charles Gave
"Un essai bref, dense, très bien écrit, d'une érudition remarquable" Guy Millière

"Un admirable petit essai historique et juridique" Emmanuel Garessus
"Un ouvrage probablement majeur" Johan Rivalland
"Essai lumineux" Francis Richard
"Voici enfin une réponse particulièrement convaincante" Thierry Guinhut
"Un parallèle impressionnant entre l'histoire de Rome et celle des Etats-Unis" Fboizard
"Une vraie leçon de l'Histoire" Vivien Hoch

ENTRETIENS AVEC L'AUTEUR

Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 1)
Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 2)
Entretien sur Kernews



Publicité