Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Archives
Newsletter
3 avril 2015

Ecologisme et marxisme : un cas de compétition idéologique dans l'évolution du clivage

Comme commentaire à mon dernier billet concernant la dynamique du clivage gauche-droite et dans lequel, à l’occasion des élections départementales, je tentais de faire le point sur l’évolution idéologique du clivage dans notre pays, il m’a été suggéré une nouvelle fois la possibilité, en lieu et place du libéralisme, de la pénétration à gauche d’une autre idéologie, savoir l’écologisme, qui redonnerait un peu de lustre aux vieux oripeaux du socialo-communisme et dont la « fraîcheur » ferait un potentiel candidat au renouveau doctrinal de la moitié gauche de l’échiquier politique.

La question me semble intéressante à aborder dans un billet à part car, si l’hypothèse d’un triomphe de l’écologisme à gauche ne me paraît pas tenir debout, l’histoire de l’écologisme dans notre clivage politique donne à voir un très intéressant exemple d’avorton idéologique.

En effet, en considérant l’histoire du clivage depuis un siècle et demi, l’on s’aperçoit que marxisme et écologisme sont des frères jumeaux dont l’un s’est développé aux dépens de l’autre, demeuré atrophié. Ce qui nous donne l’occasion d’observer un cas de concurrence doctrinale.

L’écologisme est né dans les mêmes milieux, la même nébuleuse que celle d’où est sortie le marxisme : l’anarcho-socialisme du XIXe siècle. Il fut théorisé, d’abord, par un individu comme Elisée Reclus   : libertaire, anarchiste, ami de Bakounine, végétarien, il posa les bases d’une doctrine unissant le souci environnementaliste, né en réaction à la révolution industrielle, et les préoccupations sociales de l’anarcho-socialisme.

Reclus

Deux fondateurs pour deux branches de l'anarcho-socialisme : Elisée Reclus pour l'écologisme, Marx pour le marxisme.

Mais, comme chacun sait, à la fin du XIXe siècle, au sein de la nébuleuse anarcho-socialiste, a fini par s’imposer une doctrine, celle de Marx. Elle était vraissemblablement la plus « solide », à entendre comme la plus construite, la plus fouillée, la plus systématique, la plus cohérente intellectuellement et, qui plus est, contenait des principes pour l’action organisée : le rêve anarchiste et socialiste devait être atteint, d’abord, par une dictature du prolétariat. Le marxisme a ainsi séduit des anarcho-socialistes parce qu’il promettait l’anarcho-communisme comme résultat final, la fameuse société autogérée qui devait succéder à la dictature du prolétariat (mais n’est jamais advenue). En outre, le marxisme avait l’avantage d’être aussi admissible par d’autres que les anarchistes, plus « réalistes », qui verraient dans la collectivisation des moyens de production un premier pas tout à fait atteignable.

L’hégémonie du marxisme s’établit notamment à travers deux grandes étapes : la première, ce fut l’adoption des thèses marxistes lors de la fondation de l’Internationale socialiste de 1889, ce qui assit leur autorité dans le réseau socialiste international : l’union des socialistes en France, en 1905, se nomma Section Française de l’Internationale Ouvrière ; la deuxième étape fut le succès de la révolution bolchévique en Russie, qui frappa les conscience en donnant un exemple, dans un grand pays, de l’instauration du communisme marxiste. Dès lors, le marxisme-léninisme fut le courant largement majoritaire du socialisme, et l’autorité théorique de la doctrine de Marx s’imposa y compris chez les socialistes « modérés ».

L’emprise du marxisme ne se relâcha qu’à la fin des années 1950 : la déstalinisation donnait à voir les errements de la révolution marxiste-léniniste, et l’absence d’évolution vers la société autogérée censée succéder à une provisoire dictature du prolétariat se faisait attendre, entamant la crédibilité du modèle historiciste marxiste.

C’est alors que les courants socialistes minoritaires, écrasés par l’hégémonie du marxisme, léninisme et stalinisme durant toute la première moitié du XXe siècle, reprirent du poil de la bête : certaines se trouvèrent une nouvelle incarnation avec un nouvel espoir dans un nouveau modèle, le maoïsme ; mais reparurent aussi des conceptions alternatives soit du marxisme, avec le trotskisme, soit alternatives au marxisme lui-même, ce qu’était l’écologisme.  Ce dernier prit son essor essentiellement après Mai 68, et surtout à la faveur des inquiétudes accompagnant le développement de l’énergie nucléaire, et accompagna le socialo-communisme dans sa conquête du pouvoir et son installation comme nouvel ordre national.

Ainsi donc l’écologisme n’est-il nullement un successeur  du marxisme. Il ne faut pas se laisser abuser par l’illusion d’optique de son essor tardif durant le dernier quart du XXe siècle : en réalité l’écologisme est né en même temps que le marxisme et au sein de la même nébuleuse anarcho-socialiste. Simplement il a végété dans l’ombre étouffante d’un marxisme hégémonique qui a, durant un demi-siècle, été l’expression quasi-monopolistique du socialisme, grâce à sa supériorité théorique, et n’a perdu cette position qu’avec la manifestation pratique de ses limites.  Lorsque l’écologisme a trouvé enfin l’espace nécessaire pour s’exprimer, il avait déjà vieilli  en tant qu’il n’est qu’un courant au sein du mouvement anarcho-socialiste. C’est pourquoi, aujourd’hui, il n’est pas possible de placer les écologistes plus à gauche ou plus à droite que le parti socialiste : ils sont au même niveau, et ne diffèrent que sur leurs fondements doctrinaux.

Et tout comme le socialisme du PS, l’écologisme n’est déjà même plus de gauche : il est passé à droite. Tout comme Sarkozy a adopté le discours, parce qu’il en a adopté les idées, de Jaurès, il a aussi adopté l’écologisme : songeons au « Grenelle de l’environnement », songeons aux sorties anti-OGM de Nathalie Kosciusko-Morizet. Mais dès avant cela, souvenons-nous que dès 2004, Jacques Chirac, président de droite, avait fait rédiger et adopter la Charte de l’environnement, texte éminemment écologiste auquel il a été donné valeur constitutionnelle. On voit mal, dès lors, comment l’écologisme pourrait encore, en France, prétendre être révolutionnaire. C’est pourquoi je pense que l’écologisme n’est pas un concurrent du libertarianisme comme future nouvelle idéologie de la gauche, car cet écologisme a déjà fait son temps et va être rejeté à droite, comme le socialisme.

Cet exemple historique du marxisme et de l’écologisme a me semble-t-il un autre intérêt que la simple compréhension de la place de l’écologisme sur l’échiquier politique actuel : il donne à voir comment s’impose une nouvelle idéologie à gauche, et spécifiquement de quelle manière, par une sorte de darwinisme, un courant peut l’emporter sur les autres. Ainsi, le marxisme l’a-t-il emporté sur les autres courants issus de la même nébuleuse anarcho-socialiste du XIXe.

L’on peut penser que, si comme je le crois le libertarianisme sera la prochaine idéologie d’extrême-gauche, il connaîtra le même type de compétition interne pour que s’impose la variante qui semblera la plus apte à obtenir rapidement des résultats concrets ; de ce point de vue, les débats, nombreux et constants, qui agitent constamment la libéralosphère entre anarcho-capitalistes, minarchistes, randiens, rothbardiens, etc. sont vraisemblablement une étape importante du développement du libertarianisme. La grande question est celle de la nécessité hégémonique d’un courant sur les autres, ou de la possibilité, en l’absence d’une tendance conquérant une supériorité écrasante, des blocs équivalents peuvent cohabiter ; auquel cas l’hégémonie marxiste sur les courants socialistes n’aurait été qu’une possibilité d’évolution parmi d’autres.

 En tout les cas, l'on observe que cette compétition pour l'hégémonie idéologique à gauche eut lieu entre différentes branches d'une même idéologie, l'anarcho-socialisme. Il semble donc normal qu'on ne voie pas d'alternative au libertarianisme, et qu'il n'y aura pas de lutte entre deux idéologies radicalement différentes pour conquérir les sensibilités de gauche

 

.

Publicité
Commentaires
R
Il me semble que l'écologisme a aussi connu son heure de gloire au sein de mouvements réactionnaires.
Répondre
O
Pour valider votre thèse, on peut citer Serge Latouche ( écolo décroissant ) dans son "petit traité de la décroissance sereine" :<br /> <br /> "Il est regrettable, tragique peut-être, que la relation entre Karl Marx et Sergueï Podolinsky ( précurseur de l'économie écologique ) ait tourné court. Bien des impasses du socialisme auraient été évitées et accessoirement quelques polémiques sur le caractère de droite et de gauche de la décroissance..."<br /> <br /> La chose est claire, pour les écolos, l'écologie est une idéologie qui aurait dû être liée au marxisme.
Répondre
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
  • Blog de Philippe Fabry, historien-théoricien. Ce blog reprend notamment ses travaux relatifs aux "lois de l'Histoire" et leur emploi pour mieux analyser le monde actuel. Tous les articles sont librement reproductibles, avec la mention www.historionomie.com
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 507 325
LES LIVRES

LA STRUCTURE DE L'HISTOIRE

Présentation du livre sur ce blog

Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon

ROME, FROM LIBERTARIANISM TO
SOCIALISM

Kindle only

Sur Amazon.fr (€)
Sur Amazon.com ($)
Sur Amazon.co.uk (£)

ATLAS DES GUERRES A VENIR

Finale
Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)

Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview sur RFI dans l'émission Géopolitique, le Débat
Interview sur Kernews

HISTOIRE DU SIECLE A VENIR

livre146

Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)
Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview par Franck Ferrand sur Europe 1
Interview par Frédéric Taddéi sur Europe 1
Interview par Martial Bild sur TV LIbertés
Interview par Louis Daufresne sur Radio Notre-Dame

Interview sur Atlantico

"Voici un livre qu'il faut lire", Matthieu Delaygue, La Revue de l'Histoire
"Une nouvelle lecture passionnante" PLG, pour Contrepoints
"Ce livre mérite d'être lu" Laurent de Woillemont, pour Enquête et Débat

Articles du blog complétant le livre :
La date de la prochaine guerre mondiale
La prochaine guerre mondiale : peu probable avant 2017, après, oui
Pourquoi l'UE va éclater
La société de demain : un bref aperçu
Vers la plus grande guerre de tous les temps
Le Président, le Führer et l'Empereur : trois occurences de l'illusion tellurocratique en Europe

ROME, DU LIBERALISME AU SOCIALISME

Romedulib

Livre récompensé par le Prix Turgot du Jeune Talent et le Prix du Livre Libéral 2014 de l'ALEPS

SE PROCURER LE LIVRE :


Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon
Au format Ebook

QUELQUES RECENSIONS DU LIVRE :

"Un grand livre" Charles Gave
"Un essai bref, dense, très bien écrit, d'une érudition remarquable" Guy Millière

"Un admirable petit essai historique et juridique" Emmanuel Garessus
"Un ouvrage probablement majeur" Johan Rivalland
"Essai lumineux" Francis Richard
"Voici enfin une réponse particulièrement convaincante" Thierry Guinhut
"Un parallèle impressionnant entre l'histoire de Rome et celle des Etats-Unis" Fboizard
"Une vraie leçon de l'Histoire" Vivien Hoch

ENTRETIENS AVEC L'AUTEUR

Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 1)
Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 2)
Entretien sur Kernews



Publicité