Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Archives
Newsletter
10 novembre 2015

La IIIe et la Ve : des Républiques aux évolutions divergentes

Ayant traité récemment de la crise constitutionnelle inédite qu'ouvrirait, pour la Ve République, une élection de Marine Le Pen à la magistrature suprême sans que les législatives ne lui fournissent une majorité parlementaire, je voudrais revenir un peu sur le sujet et proposer une perspective historique en matière constitutionnelle, par une comparaison brève entre les IIIe et Ve République, leurs principes initiaux et leur évolution.

Présidents

La IIIe et la Ve République sont les seules à avoir duré plusieurs décennies. L'image que l'on a de leur modes de fonctionnement est généralement celui de deux systèmes radicalement opposés : d'un côté l'actuelle république qui tend vers une sorte d'absolutisme présidentiel, avec ses parlementaires godillots, de l'autre une IIIe qui est restée comme un régime parlementaire, où la Chambre des députés faisait et défaisait les gouvernements, plusieurs fois par législature, et où le président se contentant d'inaugurer les chrysanthèmes. La IIIe était le régime dominé par la société civile, aux élites politiques largement issues des professions libérales, et la période la plus libérale de l'histoire de France, avec un Etat extrêmement limité dans ses interventions et son poids économique ; au contraire la Ve République est un régime dont les élites politiques sont constituées essentiellement de fonctionnaires, et

En vérité, bien peu se souviennent que les lois constitutionnelles de 1875, instaurant la IIIe République - qui n'aura jamais de constitution à proprement parler - dessinaient un régime pratiquement identique à celui qui fut mis en place en 1958. Les deux républiques, si dissemblables dans leur pratique, se fondaient sur des textes constitutionnels pratiquement identiques. Voyez donc :

 

Capture d’écran 2015-11-10 à 11 Source de l'image. Pour avoir une idée des dispositions prévues par les seules lois constitutionnelles de 1875, il faut faire abstraction du Président du Conseil, qui n'apparaît qu'en 1876.

Capture d’écran 2015-11-10 à 11Source de l'image. Ici, il faut faire abstraction du Conseil constitutionnel, qui ne change rien à la répartition des pouvoirs, et bien sûr de l'élection au suffrage universel, mise en place seulement en 1962.

Si l'on compare le résultat théorique des lois constitutionnelles de 1875 et de la constitution de 1958, nous avons :

- Deux chambres, haute et basse, l'une élue au suffrage indirect, l'autre au suffrage direct.

- un Président de la République, élu par les deux chambres pour sept ans, qui promulgue les lois (son pouvoir est même plus grand sous la IIIe, puisqu'il a aussi l'initiative des lois), a le droit de grâce, est le chef des armées, nomme aux emplois militaires, n'est responsable devant les chambres qu'en cas de haute trahison. Les actes de gouvernement du Président, sous la IIIe, doivent être contresignés par un ministre. Sous la Ve, le Président de la République n'a le pouvoir réglementaire qu'en matière de décrets délibérés en conseil des ministres, ce qui revient peu ou prou au même. Dans les deux cas, le Président préside le Conseil des ministres. Il peut aussi dissoudre la chambre basse (c'est un petit peu plus compliqué sous la IIIe que sous la Ve, le président ayant besoin de l'avis conforme du Sénat).

- Une séparation souple des pouvoirs.

On le voit donc, sur l'essentiel de la distribution des pouvoir et le mode de fonctionnement censé en résulter, la IIIe République était quasi-identique à ce que prévoyait la Ve, version 1958.

Pour cette dernière, l'on sait que son virage présidentialiste a une origine évidente et connue car souvent rappelée dans nos médias et les débats politiques : l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, qui dès son instauration en 1962 bouleverse l'esprit des institutions en changeant les rapports de légitimité démocratique, le Président devenant plus légitime que les chambres. L'autre grande réforme constitutionnelle, l'instauration du quinquennat en 2000, irait encore dans le même sens. Cette évolution est donc, principalement, le fait de réformes constitutionnelles qui ont induit un déséquilibre institutionnel.

Il en va différemment pour l'évolution de la IIIe qui, elle, a débouché sur un régime, disais-je, parlementaire, avec un rôle de président réduit à être une potiche, l'essentiel du pouvoir exécutif étant concentré dans les mains du prestigieux "Président du Conseil". Nous allons voir que cette évolution est un exemple très amusant de coutume constitutionnelle contra legem.

Remémorons-nous le contexte : après la défaite de 1870, puis les déboires de la Commune de Paris en 1871, venait le temps de déterminer sous quel régime la France serait désormais gouvernée. L'Assemblée nationale élue en 1871, et qui devait élaborer une constitution, était composée pour deux tiers de monarchistes, pour un tiers de républicains ; : les monarchistes n'étaient pas assez fort pour restaurer la monarchie, les républicains trop faibles pour imposer le régime d'assemblée dont ils rêvaientautant dire que sauf à replonger dans la guerre civile, il faudrait faire des compromis.

C'est ainsi que furent adoptées les lois ci-dessus décrites. Les républicains s'en satisfaisaient en se disant qu'ils échappaient à la monarchie et un régime où le président serait trop fort, et parvenaient à préserver le parlementarisme ; les monarchistes appréciaient l'existence d'un pouvoir exécutif fort mais protégée des aventures du suffrage universel direct qui avait porté Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir. Chacun ne voyait dans ce régime qu'un pis-aller temporaire, avant qui la restauration de la monarchie, qui l'instauration d'un vrai régime d'assemblée.

En pratique, les problèmes apparurent dès 1876, lorsque les élections portent au pouvoir une majorité républicaine alors que le président, le Maréchal Mac-Mahon, est monarchiste. Un gouvernement républicain ne pouvant être présidé par un monarchiste, qui refusait de voir sa signature soumise au contreseing de républicains, et un gouvernement républicain ne pouvant accepter de renoncer à sa politique en raison d'un président monarchiste, le gouvernement se donna un Président du Conseil, résolument absent des textes, en la personne de Jules Simon. Au terme d'une crise dont je ne reprendrai pas le détail, Mac-Mahon dissout la Chambre des députés, avec l'aval du Sénat.

Les nouvelles élections législatives ramènent une majorité de républicains, ce qui pose une crise de légitimité présidentielle : le suffrage ayant désavoué sa dissolution, Mac-Mahon recule. Après l'arrivée d'une majorité républicaine au Sénat en 1879, Mac-Mahon démissionne.

Deuxième acte : Jules Grévy, républicain, est élu à la présidence de la république. Il annonce aussitôt qu'il renonce, par avance, à son droit de dissolution. Ainsi, contrairement à Mitterrand qui, après avoir su analyser le problème de la Ve dans le Coup d'Etat permanent, qui devait selon lui mener à un gouvernement technocratique - on peut mesurer à quel point il avait raison - ne prendra guère de mesures, une fois président, pour remédier à ces problèmes, Jules Grévy mit ses convictions en pratique, ce qui bouleversa l'équilibre du régime. En effet, la présidence du Conseil s'imposa définitivement comme fonction distincte de la Présidence de la République, et ce même lorsque le Président était du même bord que le gouvernement.

Après lui, le premier président de la république à prétendre intervenir dans les affaires du gouvernement fut Jean-Casimir Perier, ce qui souleva un tel tollé qu'il dut démissionner, en janvier 1895. Après 16 ans de pratique républicaine de la présidence, la prétention à gouverner d'un président de la République était devenue intolérable. 

Plus personne, après cela, n'envisagera d'employer le droit de dissolution, jusqu'à Alexandre Millerand, en 1920, qui devra à son tour démissionner.

Ainsi donc la IIIe République, telle qu'on en garde le souvenir, s'est-telle largement auto-constituée, comme régime, praeter et contra legem, dans le silence ou contre l'esprit des lois constitutionnelles : la principale fonction exécutive en pratique, le Président du Conseil, était rigoureusement absente de la loi, et le droit de dissolution, légalement consacré, devint en pratique interdit. Et pourtant, ce régime républicain a été le plus solide que la France ait connu, a survécu, et vaincu, durant la Grande guerre, et n'a fini par tomber qu'après que le territoire métropolitain, dont la capitale, ait été conquis par l'ennemi en 1940. C'était donc un régime au fonctionnement essentiellement coutumier, ce qui fait les régimes les plus solides - rappelons-nous que le Royaume-Uni n'a pas de constitution codifiée. D'ailleurs, les régimes politiques français et britannique n'ont sans doute jamais été aussi proches qu'à l'époque de la IIIe, lorsque le président de la République avait un rôle très voisin de celui des souverains britanniques. 

Force est de constater, de toute évidence, que l'évolution de la IIIe République, depuis des bases semblables, a été complètement opposée à celle de la Ve ; la IIIe avait réglé la question de la cohabitation par l'effacement de la présidence de la République au profit du gouvernement ; une telle évolution aurait pu gagner la Ve dans les années Mitterand et Chirac, mais le quinquennat a effacé cette possibilité. De toute façon, la Ve pouvait difficilement évoluer vers un effacement de la présidence de la République, dans la mesure où l'élection au suffrage universel lui donne, je l'ai dit, une légitimité démocratique supérieure à celle des chambres.

Et tout ceci est bien malheureux : la IIIe république, par essence, plus soumise certes aux caprices de la représentation nationale, était aussi plus réactive aux soucis populaires, et donc plus démocratique, et plus libérale, quand la Ve, avec son monarque républicain, est pas trop construite autour d'un principe d'autorité et de légitimité imposée durant tout le temps d'une législature : le président n'est pas responsable, mais son premier ministre non plus, qui ne sera changé, en pratique,  que si le président le veut.

Il est encore plus malheureux de se souvenir que, bien conscients de ce que la IIIe République était le meilleur régime que la France ait connu, elle fut pratiquement restaurée dans ce que l'on a appelé la IVe République, dont la constitution, en définitive, reprenait et codifiait essentiellement les institutions que la pratique coutumière avait installées sous la IIIe. On lui a reproché, et l'on en fait une des causes de la chute de la IVe, son instabilité gouvernementale. Mais celle-ci ne reflétait-elle pas l'esprit français ? Après tout, c'est ce que l'on reprochait aussi à la IIIe. La cause directe de sa disparition fut la guerre d'Algérie ; il est à ce sujet piquant de constater que le rappel de De Gaulle intervint à la suite de l'agitation de l'armée en Algérie, qui craignait que l'Algérie française ne fut bradée... et que c'est exactement ce qui arriva en définitive. Ainsi donc, De Gaulle a été appelé au pouvoir en 1958 en tant qu'autorité morale, parce que ce qu'il manquait alors à la IVe n'était pas des institutions particulières mais, à ce moment-là, une personnalité charismatique. Que De Gaulle en profitât pour changer de constitution est une chose grave, dont nous payons le prix aujourd'hui.

En effet, lorsque, étouffé par le socialisme, le Royaume-Uni était sur le point de succomber, le système parlementaire britannique permit l'émergence d'une Thatcher pour faire les réformes qui s'imposaient.

Je crains fort que le système légué par le général De Gaulle, et modifié par ses successeurs dans le sens de ses travers, ne permette pas une telle émergence. Mais bien plutôt le blocage et, comme je le disais dans mon précédent billet, la crise fatale.

 

Publicité
Commentaires
M
Michel Debré a surtout institué la maîtrise par le gouvernement de l'ordre du jour des assemblées.<br /> <br /> C'est ainsi que seuls les projets de loi gouvernementaux ont donné lieu à des lois sous la Vème. Et jamais les propositions parlementaires.<br /> <br /> Du moins, tant que cette disposition non constitutionnelle a été maintenue...<br /> <br /> Cdlt,
Répondre
J
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Traderidera, l'habit n'a jamais fait le moine / l'imam / le rabin,<br /> <br /> la réciproque est tout aussi vrai, voir même plus encore.<br /> <br /> <br /> <br /> Ce que je veux dire, c'est que De Gaulle n'a pas cherché à pérenniser son rôle de sauveur, je crois, et cela n'engage que moi, qu'il a cherché à adapter les lois afin de permettre, au contraire de ce que vous laissez penser, à ses successeurs d'avoir une légitimité juridique grande mais également et surtout afin d'obtenir un équilibre institutionnel nouveau et adéquat à l'époque et peut être quant au futur ( dont il ne serait pas l'acteur principale ... bref ).<br /> <br /> <br /> <br /> En France, mon peuple prend le meilleur du passé et du présent, cela lui permet avec sérénnité d'assumer le risque de se tromper notemment sur la manière dont le pays peut fonctionner ...<br /> <br /> Le meilleur de la royauté, le meilleur de la représentativité ... en France on fait de la recherche politique réelle comme nul part ailleur, c'est LA spécifité française.<br /> <br /> <br /> <br /> Post Scriptum: mes amis alégériens ne vivent pas en Alégérie, ils me disent qu'ils ont une origine algérienne mais qu'ils sont français, ce sont les premiers à avoir un regard constraté sur la France, l'Algérie et la relation commune de ces deux pays ... c'est ainsi .| <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai le sentiment que la contradiction en France est que nous voulons à la fois être représenté et à la fois qu'un chef nous représente.<br /> <br /> <br /> <br /> France n'est pas qu'une terre, c'est avant tout un regard sur le monde, <br /> <br /> France est un contrat social, un contrat organique, vivant, un contrat humain.<br /> <br /> <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Jean.
Répondre
T
Bien d'accord avec vous. De Gaulle eut dû se contenter d'enfiler les habits de dictator (au sens romain du terme), comme Cincinnatus, dans ce moment de crise aiguë de l'affaire algérienne, et non mondifier la constitution pour pérenniser son rôle de sauveur ...
Répondre
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
  • Blog de Philippe Fabry, historien-théoricien. Ce blog reprend notamment ses travaux relatifs aux "lois de l'Histoire" et leur emploi pour mieux analyser le monde actuel. Tous les articles sont librement reproductibles, avec la mention www.historionomie.com
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 507 359
LES LIVRES

LA STRUCTURE DE L'HISTOIRE

Présentation du livre sur ce blog

Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon

ROME, FROM LIBERTARIANISM TO
SOCIALISM

Kindle only

Sur Amazon.fr (€)
Sur Amazon.com ($)
Sur Amazon.co.uk (£)

ATLAS DES GUERRES A VENIR

Finale
Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)

Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview sur RFI dans l'émission Géopolitique, le Débat
Interview sur Kernews

HISTOIRE DU SIECLE A VENIR

livre146

Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)
Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview par Franck Ferrand sur Europe 1
Interview par Frédéric Taddéi sur Europe 1
Interview par Martial Bild sur TV LIbertés
Interview par Louis Daufresne sur Radio Notre-Dame

Interview sur Atlantico

"Voici un livre qu'il faut lire", Matthieu Delaygue, La Revue de l'Histoire
"Une nouvelle lecture passionnante" PLG, pour Contrepoints
"Ce livre mérite d'être lu" Laurent de Woillemont, pour Enquête et Débat

Articles du blog complétant le livre :
La date de la prochaine guerre mondiale
La prochaine guerre mondiale : peu probable avant 2017, après, oui
Pourquoi l'UE va éclater
La société de demain : un bref aperçu
Vers la plus grande guerre de tous les temps
Le Président, le Führer et l'Empereur : trois occurences de l'illusion tellurocratique en Europe

ROME, DU LIBERALISME AU SOCIALISME

Romedulib

Livre récompensé par le Prix Turgot du Jeune Talent et le Prix du Livre Libéral 2014 de l'ALEPS

SE PROCURER LE LIVRE :


Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon
Au format Ebook

QUELQUES RECENSIONS DU LIVRE :

"Un grand livre" Charles Gave
"Un essai bref, dense, très bien écrit, d'une érudition remarquable" Guy Millière

"Un admirable petit essai historique et juridique" Emmanuel Garessus
"Un ouvrage probablement majeur" Johan Rivalland
"Essai lumineux" Francis Richard
"Voici enfin une réponse particulièrement convaincante" Thierry Guinhut
"Un parallèle impressionnant entre l'histoire de Rome et celle des Etats-Unis" Fboizard
"Une vraie leçon de l'Histoire" Vivien Hoch

ENTRETIENS AVEC L'AUTEUR

Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 1)
Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 2)
Entretien sur Kernews



Publicité