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Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
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25 février 2015

American sniper : très bientôt, America will be back (et c’est tant mieux)

Je suis allé voir hier soir American sniper. Pour ceux qui n’en auraient pas entendu parler, il s’agit du biopic de Chris Kyle, le tireur d’élite au « palmarès » le plus important de l’histoire militaire des Etats-Unis, avec 160 tirs létaux reconnus par le Pentagone, ayant principalement servi en Irak. Un film de Clint Eastwood, marqué par l’élégance et la sobriété coutumière du cinéaste. Outre le fait qu’il rencontre un succès populaire considérable outre-Atlantique, le film a également été entouré d’une polémique, certains lui reprochant d’être un film va-t-en-guerre (ce qu’il n’est pas, après visionnage) et a recueilli le soutien public de Michelle Obama (qu’elle ait authentiquement apprécié le film ou simplement pris acte de ce que le peuple américain s’y reconnaissait et pensé en conséquence qu’il ne serait pas sage de le critiquer). 

American sniper

L’objet de ce billet n’est pas de faire une critique cinématographique ou d’entrer dans la controverse au sujet du film, mais d’essayer de comprendre ce que ce film, et son énorme succès, nous apprennent sur l’état d’esprit de l’Amérique et sur son évolution prochaine. Cela peut paraître ambitieux de tirer de grandes conclusions politiques à partir du cas d’un film, mais ce qui me conduit à proposer cette réflexion aujourd’hui est le fait que, quittant la salle de cinéma hier soir, je pensais à un autre monument du cinéma qui eut sinon une influence importante, du moins fut un marqueur significatif, en son temps, d’un changement d’époque. Je veux parler du premier Rambo (1982) (pour ceux qui n’ont jamais vu Rambo, se souvenir de ce que l’image de nanar d’action patriotique sans finesse est le produit de ses suites, pas de l’original). Ce film, moins d’une dizaine d’années après la fin de la guerre du Vietnâm, eut un effet cathartique important sur la population américaine, traitant des effets du stress post-traumatique, de la difficulté de s’intégrer au retour des combats, et en montrant l’humanité des soldats. Il ne s’agissait pas d’un appel à la guerre, mais d’une reconnaissance de la dignité des soldats, en réaction à l’excès inverse au militarisme bas du front qu’est le mépris pour le sacrifice des soldats. Ce mépris était perçu dans les multiples reculades américaines qui semblaient ôter tout sens à ces sacrifices : la chute du Sud-Vietnâm en 1975 en particulier, puis plus largement les désastreuses années Carter voyant un reflux de la puissance américaine tant face à l’URSS, avec le début de la guerre d’Afghanistan en 1979, que face au reste du monde, avec la Révolution islamique et la prise d’otage de Téhéran la même année.

American sniper offre, me semble-t-il, au public américain une semblable catharsis. La guerre d’Irak a été pour le peuple américain une épreuve comparable au Vietnâm : certes les pertes ont été dix fois moins élevées, mais le conflit a suscité le même type d’interrogations profondes sur l’utilité des Etats-Unis à intervenir à l’étranger, sur les véritables raisons du conflit, et quant à la légitimité morale de tels engagements, et de ceux qui y ont participé ; les soldats, au premier chef. Le retrait de 2011, qui a depuis laissé la place à l’influence iranienne puis à l’éclosion monstrueuse de l’Etat islamique, a laissé naître le sentiment d’un gâchis, d’un combat mené pour rien. Les pertes civiles et le chaos résultant de l’intervention, laissant place au mal que l’on prétendait précisément contrer, comme dans le cas du Vietnâm lors de l’invasion de 1975, favorisent les discours relativistes mettant toutes les interventions, de tous les pays, sur un pied d’égalité, les renvoyant dos à dos. Hélas, ces relativisations, qui produisent un pacifisme aveugle, ne favorisent pas la paix, mais l’inaction des gens civilisés, sensibles au pacifisme, face aux brutes, qui s’en moquent. Et comme en 1979 l’URSS estima les USA suffisamment plongés dans le marasme pour envahir l’Afghanistan, aujourd’hui la Russie veut dévorer l’Ukraine. C’est Ronald Reagan qui dénonça cet état d’esprit et y mit fin, en particulier avec son célèbre discours sur « l’empire du mal », le 8 mars 1983, par lequel il défendait la poursuite et l’accentuation de la course aux armements pour contrer l’URSS : « je vous conjure de prendre garde à la tentation de l’orgueil, la tentation de vous déclarer allègrement au-dessus de tout cela et de considérer les deux parties également fautives, d’ignorer les faits de l’Histoire et les poussées agressives d’un empire du mal, de simplement désigner la course aux armements comme un immense malentendu et par là-même vous exempter de la lutte entre le vrai et le faux, et le bien et le mal ».  Certes, on ne dira pas que c’est grâce à Rambo que Reagan a tenu ce discours, simplement nous pouvons noter la corrélation entre et ce changement de disposition du peuple américain que manifestait le succès de Rambo et le discours intransigeant de Reagan.

Dans American sniper le même esprit est présent dès les cinq premières minutes (ATTENTION, spoiler ! Certes très léger, mais ceux qui ne veulent rien savoir avant d’aller voir le film peuvent sauter directement au paragraphe suivant) : on y voit le père d’un Chris Kyle enfant lui expliquer qu’il y a trois types d’individus dans le monde : les moutons, les loups et les chiens de berger. Les moutons, dit-il, sont ceux qui, par paresse et confort moral, préfèrent penser qu’il n’y a pas de bien ni de mal, et seront la proie du mal dès qu’il se présentera ; les loups sont les brutes qui utilisent leur capacité de violence pour faire le mal - et il prévient son fils qu’il le fouettera à coups de ceinturon s’il devient un loup. Enfin, il y a les chiens de berger, qui ont aussi la capacité de violence, et s’en servent comme d’un don pour protéger les faibles des loups - et il assure son fils qu’il aura toujours son appui pour faire ce qui est juste. Ces propos, dès le début du film, donnent le sens de l’engagement de Chris Kyle et des soldats américains, certes, mais présentent aussi, à un autre degré, le rôle que l’Amérique se donne dans le monde. Il ne s’agit pas seulement d’une auto-légitimation, du « nous avons raison, ils ont tort », car le discours du père insiste bien sur le fait que c’est aussi une discipline : utiliser la force pour la prédation est un crime pour lequel on mérite le fouet. En cela, le film sonne comme un rappel moral sur ce que doit être la guerre pour l’Amérique : comme instrument de puissance et de domination, il faut la fuir, mais elle peut être légitime pour lutter contre ceux qui veulent faire acte de puissance et imposer leur domination ; et plus encore, dans ce cas, elle est un devoir. C’est dur, c’est éprouvant, c’est dangereux, mais c’est juste.

On peut certes considérer comme simpliste ce discours sur le bien et le mal pour parler de géopolitique, et beaucoup se sont plu et se plaisent encore à le faire en ricanant. Mais en vérité, ce type de discours n’est pas plus simpliste que l’idée aussi paresseuse que nocive que tout se vaudrait, que l’impérialisme américain vaudrait l’impérialisme russe, ou que le passif historique de l’Occident lui interdirait, aujourd’hui, de porter un jugement sur les régimes prédateurs et les organisations terroristes, et ôteraient une légitimité à sa réaction. Il est au moins aussi idiot de réduire la géopolitique à un conflit d’intérêts tout aussi légitimes, ou illégitimes, les uns que les autres, en l’absence de tout bien et de tout mal, qu’à la lutte du camp du bien contre le camp du mal ; et la deuxième conception a un avantage éthique sur la première, qui est d’essayer, sans préjuger de ses résultats, d’être plutôt du côté du bien que de celui du mal ; alors que lorsque l’on évacue l’existence de l’un ou l’autre, cette préoccupation disparaît... ce qui a plutôt tendance à favoriser le mal.

Mais laissons de côté la défense du propos, pour nous concentrer, qu’on y adhère ou pas, sur ce que nous indique ce film sur l’état de la société américaine.

Comme jadis Rambo, le succès populaire d’American sniper s’explique par le fait qu’il répond à un besoin, il exprime le sentiment préexistant du peuple américain.

Et cela me paraît d’autant plus logique que l’on se trouve à la même période d’un cycle politique américain. Le premier s’étendit de 1953 à 1980, l’actuel de 1980 à, vraisemblablement, 2016. Tout d’abord, on trouve un président américain ancré sur les valeurs américaines traditionnelles, républicain, qui permet la relance de la machine américaine avec sérieux, ce qui fut le cas d’Eisenhower et Reagan ; ensuite vient le jeune démocrate très populaire qui profite de la prospérité, ce que l’on trouve chez Kennedy comme Clinton ; puis vient le républicain étatiste qui subit un début de crise économique, fardeau de Nixon et G. W. Bush ; enfin vient le démocrate mou et incompétent qui ne parvient pas à résorber la crise et, laissent l’influence américaine refluer, et s’installer à sa place le désordre terroriste et les ambitions des régimes autoritaires. Ce reflux provoque le désarroi et le doute du peuple américain, l’amertume face à l’absence de résultats après les sacrifices consentis et, en définitive, le sursaut. Du moins ce sursaut eut-il lieu la dernière fois, portant Ronald Reagan au pouvoir.

Si les choses continuent à suivre le même chemin, nous pouvons espérer l’élection d’un nouveau Reagan. En l’état actuel des choses, le seul que je voie à même d’endosser le costume, c’est Rand Paul. Les sondages le donnent pour l’instant perdant contre Hilary Clinton, mais en deux ans beaucoup de choses peuvent se passer, et en particulier cette lame de fond conservatrice, autour des valeurs traditionnelles américaines, pourrait provoquer une élection aussi triomphale que celle de Reagan. American sniper, selon moi, annonce ce sursaut du peuple américain. L’accueil réservé au film dit « nous sommes prêts à revenir ».

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Au plan cinématographique, cela conduira probablement à la réalisation de nombreux films très patriotiques américains, comme Rambo 2 et 3, et Rocky 4 (qui eut tout de même son petit rôle dans la chute de l’URSS, d’après un récent reportage sur Arte  ) , ou encore l’Aube Rouge (qui a d’ailleurs connu déjà un remake en 2012. Cela enrichira moins le 7eme art que Rambo ou American sniper, mais si cela nous amène une nouvelle version des années Reagan, et un retour de l’Amérique qu’on aime, nous aurons de quoi nous réjouir.

En attendant, je vous conseille American sniper : un grand film d’un grand libertarien, Clint Eastwood

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PS : Mon père, sortant du film, me fait remarquer que le parallèle lui semble plus pertinent avec Voyage au bout de l'enfer qu'avec Rambo. J'approuve cette remarque, ce d'autant plus que le film date de 1978, soit encore sous Carter. D'autre part il semble logique, si l'on assiste à un mouvement de fond, une évolution des mentalités, qu'il n'y ait pas une oeuvre unique pour marquer cette évolution. Mais la place chronologique de Voyage au bout de l'enfer le rend plus symbolique.

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Commentaires
U
+1 sur l'importance d'un retour de l'Amérique<br /> <br /> <br /> <br /> « Il suffit que les hommes de bien ne fassent rien pour que le mal triomphe. »<br /> <br /> <br /> <br /> http://www.wikiberal.org/wiki/Edmund_Burke
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  • Blog de Philippe Fabry, historien-théoricien. Ce blog reprend notamment ses travaux relatifs aux "lois de l'Histoire" et leur emploi pour mieux analyser le monde actuel. Tous les articles sont librement reproductibles, avec la mention www.historionomie.com
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