Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
Archives
Newsletter
24 février 2015

Qu’est-ce que le poutinisme ?

Je lisais tantôt le dernier billet que Guy Sorman a publié sur son blog, dans lequel il évoque la question, que j’ai personnellement abordée il y a quelques jours, de la cinquième colonne poutiniste qui se développe et est entretenue, notamment financièrement, par la Russie en Europe. Si Guy Sorman reconnaît (comment ne pas le faire ?) que la Russie finance aujourd’hui les partis europhobes comme le Comité central soviétique finançait les partis communistes locaux, partout en Europe, il conteste le fait que le poutinisme puisse être comparé au communisme. Il dit : « La comparaison ne me paraît pas légitime : la discontinuité l'emporte. Le communisme fut un modèle à ambition universelle qui dépassait identités nationales et particularismes locaux. Le poutinisme n'est lui qu'une idéologie du refus : les alliés de circonstances de la Russie poutinienne présente ont en partage une exaltation de leur identité nationale, évidemment mythique, l'hostilité au capitalisme perçu comme "américain", la haine des immigrés, le chérissement de "valeurs" dites traditionnelles tel le respect de l'autorité du chef, du père, du prêtre, du mari. Les diatribes de Poutine contre les homosexuels plaisent à ses admirateurs en Europe - à l'extrême-droite surtout - mais son machisme dépoitraillé et botoxé n'est tout de même pas l'équivalent de la révolution prolétarienne. » Il me semble que Guy Sorman va ici un peu vite en besogne, et d’autant plus vite qu’il identifie de manière juste des caractères évidents du poutinisme. En vérité, il me semble au contraire que le poutinisme est pleinement une idéologie, et si il y a bien une absence d’universalité dans le poutinisme, c’est parce qu’il s’agit d’une idéologie marquée par une sensibilité de droite (voir mes principaux articles consacrés au clivage sur Contrepoints, ici  et là  ) Pour être plus précis, je voudrais revenir plus en profondeur sur cette nature du poutinisme, que je n’ai jusqu’ici que brièvement évoquée.

Le poutinisme n’est pas seulement une idéologie du refus ; certes, les populistes pro-Poutine qui pullulent à travers l’Europe partagent ces sentiments listés par Sorman, mais la vision défendue ne se limite pas à cela. Le poutinisme, se fondant sur ces « valeurs », porte un projet alternatif que j’ai déjà évoqué : celui d’un bloc européen unifié dans la démocratie dirigée sur un mode populiste-autoritaire et le corporatisme économique. Il n’est pas surprenant, d’ailleurs, que la France, à travers la progression continue de son Front National, soit l’un des pays européens où la séduction pour ce modèle opère le mieux : notre pays est déjà le plus étatisé de toute l’UE, en matière d’économie, d’éducation et de santé, et le plus imprégné de pensée antilibérale, le plus accroché à un « modèle social » en complet décalage avec la modernité. Le fait que  notre pays est en outre une pièce importante de l’OTAN en Europe, en particulier à cause de son positionnement stratégique en plein centre de l’Europe occidentale, en fait la cible privilégiée du calcul poutinien : une alliance franco-russe livrerait à Poutine l’Europe sur un plateau, lui permettant, sans envoyer ses chars jusqu’à Berlin, de dicter ses conditions à l’Allemagne. Le résultat serait la constitution dudit bloc européen, antilibéral, et bien sûr anti-anglo-saxon. Pour Vladimir Poutine, c’est là le moyen de refaire de la Russie une superpuissance, en appuyant sa puissance militaire retrouvée sur la puissance économique des pays de l’Union européenne, aux dépens des Etats-Unis.

Pour les populistes européens, l’idée est la même mais d’une manière un peu nuancée : il s’agit de retrouver la puissance européenne d’avant la Seconde guerre mondiale en exploitant la puissance militaire et les ressources naturelles russes. Cette alliance est jugée préférable à l’alliance américaine pour deux raisons : premièrement, la Russie étant moins puissante que l’Amérique, il serait plus simple de traiter avec elle sur un pied d’égalité, et deuxièmement les populistes détestent ce que représente l’Amérique pour la même raison qu’ils aiment ce que représente la Russie de Poutine.

Cette vision stratégique s’appuie sur une authentique idéologie, qui est celle du nationalisme paneuropéen qu’est le poutinisme. Il s’agit bien d’un nationalisme, en ce qu’il place au-dessus de toute autre considération, et spécialement du respect du droit et de la morale, l’idée de l’intérêt national. C’est pour cela que les populistes européens pro-poutine n’ont aucun mal à défendre l’annexion de la Crimée, et que l’idée que Poutine intervienne directement en Ukraine ne les gêne pas dans la mesure où tel est l’intérêt de la Russie. Ils aimeraient que leur pays puisse faire de même, à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur, en confisquant les biens des gens, en les enrégimentant. Outre un nationalisme, il s’agit donc aussi d’un étatisme, prônant la capacité de l’Etat à tout contrôler, tout régler, tout imposer. Mais ce nationalisme est bien paneuropéen, puisqu’il prône non pas l’opposition des nations d’Europe, comme le nationalisme du premier XXe siècle, mais leur co-nationalisme : que les Français soient fiers d’être Français, les Russes fiers d’êtres Russes, les Hongrois fiers d’être Hongrois, et qu’ils soient, tous ensemble, fiers d’être Européens… contre l’Amérique et les musulmans, pour l’essentiel, car il n’y a pas de nationalisme sans ennemi. En effet, tous se retrouvent dans le double refus du capitalisme libéral, forcément « anglo-saxon », et dans la crainte face au danger islamiste, perçu comme une déferlante barbare menaçant la civilisation. Il est remarquable que la configuration entre ce poutinisme et l’islamisme est la même que jadis entre le fascisme et le nazisme, socialismes nationalistes, et le bochévisme russe, socialisme internationaliste ; à l’époque, les nazis et les fascistes européens se percevaient comme le rempart contre les « hordes asiatiques » venant de Russie et menaçant d’anéantir les nations, tout en partageant avec les bolchéviks le mépris du droit, l’antiparlementarisme et l’étatisme forcené. Aujourd’hui, le poutinisme russe et européen, socialisme nationaliste comme ci-dessus évoqué, se perçoit comme le rempart de l’Europe contre les hordes musulmanes et l’islamisme radical, cette nouvelle forme de socialisme international.

Le poutinisme peut donc être défini comme une idéologie nationaliste paneuropéenne, qui veut constituer l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural » voire, comme j’ai lu avec stupéfaction Philippe de Villiers le déclarer dans le Figaro récemment, l’Europe « de l’Atlantique au Pacifique » !

Cette idéologie nationaliste paneuropéenne marque, spécialement en France, le passage à l’extrême-droite de l’internationalisme. Né à l’extrême-gauche dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec la naissance de la 1ere Internationale Ouvrière en 1864, passé progressivement à gauche entre 1900 et 1920 (fondation de la SFIO en France : 1905), l’internationalisme universaliste et progressiste, de gauche, est passé à droite au lendemain de la Seconde guerre mondiale, supplantant le nationalisme dans l’électorat et les élites de droite, et devenant un internationalisme de droite : de repli, conservateur, de droite.  Cet internationalisme de droite, ce fut l’européisme, la recherche de mise en place d’un bloc européen capable de résister aux assauts des nouvelles nations géantes, URSS et USA, et de préserver l’identité et l’indépendance d’une Europe désormais menacée d’engloutissement. Aujourd’hui, les populistes d’extrême-droite qui vilipendaient, au nom du nationalisme et du souverainisme, la tutelle des instances supranationales européennes, rêvent à leur tour d’un bloc européen, plus encore marqué par le repli et la méfiance envers le monde extérieur.

Une nouvelle preuve de ce que j’explique depuis maintenant deux ans, à savoir qu’une idée met environ un siècle et demi à parcourir l’intégralité du spectre politique, soit une étape par génération.

 

Publicité
Commentaires
D
@ Mathieu,<br /> <br /> <br /> <br /> Sans l'existance de ce que vous appelez l'impérialisme anglo-saxon vous seriez interné dans un goulag rien que pour avoir dit le mot libéral. <br /> <br /> <br /> <br /> Maintenant si pour vous l'Obamacar est synonyme de pays non libéral où sont les pays libéraux qui n'ont aucune couverture sociale étatiste? Quand à l'OTAN; je ne vois pas le rapport à part qu'il protège ce que vous chérissez. <br /> <br /> <br /> <br /> D.J
Répondre
P
Mathieu, à Athènes Sparte n'a mis fin à la social-démocratie de Périclès qu'en instaurant la dictature oligarchique des Trente Tyrans, qui fut l'équivalent athénien du régime de Vichy.<br /> <br /> <br /> <br /> De deux maux, il faut choisir le moindre.
Répondre
P
Defendre l'alliance américaine n'est pas défendre l'impérialisme américain.
Répondre
M
Le début d'une solution ne serait-il pas que les libéraux français, enfin, défendent le libéralisme sans défendre en même temps l'impérialisme anglo-saxon, qui par ailleurs n'a de libéral plus que quelques vagues oripaux. <br /> <br /> <br /> <br /> Cela apparaît pourtant dans votre bouquin sur la chute de Rome, avec l'éternelle trahison par les conservateurs républicains de leurs idéaux par leur association aux patriciens par haine des plébéiens.<br /> <br /> <br /> <br /> Je suis désolé, aujourd'hui, en tant que libéral, j'estime que mes libertés sont moins menacées par la Russie que par les EU. <br /> <br /> <br /> <br /> Le fait de comprendre l'économie n'interdit pas de comprendre également la politique. L'éternelle tare des ahuris du libéralisme messianique.
Répondre
D
@ Marchenoir,<br /> <br /> <br /> <br /> Vous parlez de caricature en caricaturant Sorman. Sorman en parlant de l'islam évite de mettre les 1,5 milliards de musulmans dans le monde dans le même panier. Et pour cela il est bien libéral et pas collectiviste. Si vous lisiez un peu mieux ses billets vous sauriez qu'il ne minimise absolument pas le danger du radicalisme islamique. Il y voit ( et ça peut effectivement se discuter ) plus une cause politique que religieuse. Pour Sorman c'est pas l'islam qui est un danger mais ceux qui en font une interprétation rigoriste. Sorman veut juste démontrer que l'islam en soit n'est pas forcement un problème et qu'il peut se fondre dans la démocratie comme l'a prouvé par exemple le model Turc de Mustapha Kemal. En fait Sorman essaie surtout de cibler les problèmes liés à l'islam au lieu d'en faire des généralités à l'emporte pièce. Et surtout Sorman en libéral fait ce que beaucoup ne font pas. Il essaie de mettre en avant les musulmans libéraux et démocrates dans la lignée de Riffa. Et il a raison quand il dit que les gouvernements occidentaux depuis des décennies auraient mieux fait de soutenir ceux-ci plutôt que les dictature arabes.<br /> <br /> <br /> <br /> Quand aux mosquées subventionnées Sorman défend surtout qu'un imam qui veut pratiquer en France devrait être formé par l'état pour éviter ainsi que l'on importe des imams intégristes d'Arabie Saoudite ou d'autre pays musulmans qui ne connaissent rien aux valeurs républicaines et qui viennent pêcher un islam extrémiste. On peut n'être pas d'accord avec cela mais il faut aussi savoir ce que l'on veut. On pourrait certes aussi interdire l'islam. Mais je doute que c'est une solution. Je vous avouerais que c'est sur les questions relatif à l'islam que je suis souvent le moins d'accord avec Sorman. Mais le traiter de non libéral sur ces questions c'est un peu trop facile. Si il y a bien des libéraux qui sont irresponsables sur les dangers qui menacent l'occident se sont les libertariens et leur obsession d'une politique isolationniste. Sorman lui a estimé juste l' l'intervention occidentale en Afghanistan. Le danger venait bien de là bas.<br /> <br /> <br /> <br /> Quand à l'immigration vous avez tout faux sur Sorman. Il ne défend pas une immigration de masse incontrôlée. Il défend plutôt une immigration sur le modèle de Garry Becker le disciple de Milton Friedman où l'immigrant paierait son entrée comme quand on adhère à un club. Vous pouvez aussi lire les positions de libéraux comme Pascal Salin sur l'immigration il est beaucoup moins restrictif que Sorman.<br /> <br /> <br /> <br /> Quand à l'identité nationale, Sorman vise plutôt cette identité nationale que revendiquent les nationalistes qui cherchent à protéger les frontières autant pour l'immigration que pour le protectionnisme économique. Sorman est un plutôt un mondialiste au sens libéral du terme tant sur l'économie que sur l'immigration. <br /> <br /> <br /> <br /> Sorman n'a pas la science infuse sur tout. On peut à juste titre n'être pas d'accord sur ses positions concernant l'islam, mais il ne reste pas mois un vrai libéral. Il se réfère beaucoup à des économistes comme Milton Friedman, Garry Becker ou Hayek. Il cite souvent Tocqueville ou Bastiat. Il ne défend pas l'interventionnisme en économie fustige le keynésianisme. Et il aimerait pour l'Europe le système américain des fondations philanthropiques qu'il estime être une bonne alternative à l'état providence puisque ce dernier comme le dit Sorman a montré ses limites et son inefficacité. <br /> <br /> <br /> <br /> D.J
Répondre
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
  • Blog de Philippe Fabry, historien-théoricien. Ce blog reprend notamment ses travaux relatifs aux "lois de l'Histoire" et leur emploi pour mieux analyser le monde actuel. Tous les articles sont librement reproductibles, avec la mention www.historionomie.com
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 507 299
LES LIVRES

LA STRUCTURE DE L'HISTOIRE

Présentation du livre sur ce blog

Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon

ROME, FROM LIBERTARIANISM TO
SOCIALISM

Kindle only

Sur Amazon.fr (€)
Sur Amazon.com ($)
Sur Amazon.co.uk (£)

ATLAS DES GUERRES A VENIR

Finale
Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)

Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview sur RFI dans l'émission Géopolitique, le Débat
Interview sur Kernews

HISTOIRE DU SIECLE A VENIR

livre146

Présentation du livre sur ce blog

Commande sur le site de l'éditeur (format ebook disponible)
Commande sur Amazon
Commande sur la Fnac

DANS LA PRESSE :

Interview par Franck Ferrand sur Europe 1
Interview par Frédéric Taddéi sur Europe 1
Interview par Martial Bild sur TV LIbertés
Interview par Louis Daufresne sur Radio Notre-Dame

Interview sur Atlantico

"Voici un livre qu'il faut lire", Matthieu Delaygue, La Revue de l'Histoire
"Une nouvelle lecture passionnante" PLG, pour Contrepoints
"Ce livre mérite d'être lu" Laurent de Woillemont, pour Enquête et Débat

Articles du blog complétant le livre :
La date de la prochaine guerre mondiale
La prochaine guerre mondiale : peu probable avant 2017, après, oui
Pourquoi l'UE va éclater
La société de demain : un bref aperçu
Vers la plus grande guerre de tous les temps
Le Président, le Führer et l'Empereur : trois occurences de l'illusion tellurocratique en Europe

ROME, DU LIBERALISME AU SOCIALISME

Romedulib

Livre récompensé par le Prix Turgot du Jeune Talent et le Prix du Livre Libéral 2014 de l'ALEPS

SE PROCURER LE LIVRE :


Sur le site de l'éditeur
Sur Amazon
Au format Ebook

QUELQUES RECENSIONS DU LIVRE :

"Un grand livre" Charles Gave
"Un essai bref, dense, très bien écrit, d'une érudition remarquable" Guy Millière

"Un admirable petit essai historique et juridique" Emmanuel Garessus
"Un ouvrage probablement majeur" Johan Rivalland
"Essai lumineux" Francis Richard
"Voici enfin une réponse particulièrement convaincante" Thierry Guinhut
"Un parallèle impressionnant entre l'histoire de Rome et celle des Etats-Unis" Fboizard
"Une vraie leçon de l'Histoire" Vivien Hoch

ENTRETIENS AVEC L'AUTEUR

Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 1)
Entretien avec Damien THEILLIER sur 24h Gold (Partie 2)
Entretien sur Kernews



Publicité