TRUMP président : et maintenant ?
En février 2015, j'ai écrit un billet intitulé "America will be back". J'y expliquais que le succès populaire énorme du film American Sniper, de Clint Eastwood, annonçait l'apparition d'une lame de fond importante, un retour de fierté américaine qui porterait vraisemblablement en 2016 au pouvoir une rupture comparable à celle que fut l'élection de Ronald Reagan : le candidat d'opposition à l'establishment, le candidat de la régénération politique, remède à une sclérose institutionnelle résultant de deux décennies de ronronnement administratif, d'entre-soi élitiste, de magouilles politiciennes, de scandales d'Etat sans conséquence, de culpabilisation nationale.
Dans les années 1960 et 1970, l'on vit ça avec le scandale du Watergate, la honte du Vietnâm, l'insignifiance de Ford et la mollesse bien pensante de Carter. L'Amérique diminuée, humiliée face à une URSS obtenant les accords d'Helsinki, face à la Révolution iranienne... Et tout à coup, Ronald Reagan fustigeant l'establishment, moqué comme un acteur de seconde zone, mais expliquant qu'il y en avait assez de la soumission aux caprices soviétiques, et que son projet était de regarder les dirigeants communistes dans les yeux et de leur dire "Niet". Et il fut élu par un peuple las d'élites qui humiliaient leur Amérique.
Aujourd'hui nous avons vu cela avec le scandale des écoutes de la NSA, la honte de l'Irak, les reculades face aux Chinois, à Poutine, aux mollahs...
A nouveau, le peuple américain a eu envie de dire Niet.
Je n'ai pas prévu Trump. Mais c'est un mouvement comme cela, qui lui était prévisible, qui l'a porté au pouvoir. Ce n'est pas un mouvement fasciste, ce n'est pas un mouvement raciste, xénophobe principalement, et tous ceux qui utilisent cela comme explication n'ont rien compris à la dynamique en cours. Trump a surfé sur une vague, il était le candidat le plus à même de le faire du fait de sa capacité, par sa fortune personnelle et l'image de total franc-tireur qu'il a pu donner, en n'ayant l'air d'être acheté par aucun sponsor tout en n'étant absolument pas du sérail, et en étant un personnage déjà connu du peuple américain.
Mais la vague n'a pas été créée par Trump. La vague était là, et elle montait déjà. Ce qui a importé dans son propos, c'est moins ce qu'il a dit que ce que cela signifiait. Quand il dénonçait une certaine émigration de latinos ou se moquait d'un handicapé, ou humiliait Jeb Bush en lui parlant en plein débat comme s'il le croisait dans la rue, le contenu de ses propos n'importait pas : ce qui importait c'est que cela démontrait son indépendance d'esprit et son indifférence à ce qu'on pourrait penser de lui dans les salons de Washington. Bref, c'était exactement ce que voulait la vague qui montait : un bon gros Niet. Ou, plus justement, un bon gros F***.
Et ce que l'on peut attendre de la présidence de Trump est dans la suite logique de cela : il est moins question d'un programme, il est moins question des décisions que le personnage va prendre que de ce que sa simple élection signifie : un grand coup de pied dans une fourmilière, dans l'espoir que les intérêts installé, les castes ronronnantes, les deals constitués, les habitudes des magouilles, les arrangements usuels, tout ceci saute afin de remédier à la sclérose. Car c'est un fait : les sociétés démocratiques sont mises en danger par la sédimentation ; les groupes d'intérêts qui s'installent, les fortunes qui s'établissent, les castes qui se constituent, les clientèles qui se figent encrassent le système et finissent par le bloquer en coupant du peuple les élites lovées dans l'entre-soi, d'une part, et d'autre par la séparation des pouvoirs est atteinte car elle est contournée par des connivences de castes ; rien n'est plus nuisible à une démocratie que l'unanimité, puisque les institutions démocratiques jouent sur l'opposition des pouvoirs. Il n'y a qu'à voir comment le Tea Party a été étouffé par les élites républicaines préférant le compromis avec les élites démocrates pour comprendre de quoi je parle.
Un séisme comme celui de l'élection de Trump, en soi, peut constituer un traitement de choc : les deals habituels volent en éclat, les castes se rompent et leurs membres s'égaillent, les partis se recomposent, les clivages redynamisent les institutions. C'est cet effet là, principalement, que l'on peut attendre de l'élection de Trump, et cela quoi que fasse véritablement Trump. C'est en cela que son élection à elle seule est un événement politique dont il faut se féliciter, en voyant bien que l'élection d'Hillary, au contraire, aurait prolongé et accentué la sclérose, peut-être de manière irrémédiable. Je me réjouis donc de l'élection de Trump pour la raison qu'elle va, selon moi, redonner un coup de fouet à la démocratie américaine.
Et peut-être un coup de fouet plus important encore que sous Reagan : un coup de fouet comparable à ce que fut l'accession au pouvoir de Teddy Roosevelt, qui devint président par accident : accepté comme vice-président de McKinley par des Républicains qui comptaient sur les voix populaires qu'il pouvait leur apporter mais craignaient son intransigeance contre la corruption, Roosevelt devint président après l'assassinat de McKinley et commença un grand ménage à Washington : il combattit les monopoles néfastes des "malfaiteurs de grande fortune", et s'employa à rétablir la démocratie américaine en s'en prenant aux "Barons voleurs". Certes, il pratiqua aussi le protectionnisme, comme Trump promet de le faire, et un libéral comme moi ne peut s'en réjouir ; mais il faut voir que Roosevelt assainit grandement la démocratie américaine, et que la prospérité et le bon fonctionnement de la démocratie américaine dans les décennies qui suivirent furent en partie son héritage.
On peut donc espérer que cette élection aura pour conséquence de nous faire gagner quelques années de démocratie américaine et de liberté supplémentaires, notamment si Trump applique son programme de diminution des réglementations et des impôts.
Par ailleurs, si j'ai bien compris, trois juges à la Cour Suprême seront nommés durant son mandat ; ce qui sera fait par Trump et devra être approuvé par une Chambre et un Sénat républicains, au moins pour celui ou ceux qui seront nommés avant les élections de mi-mandat. On aura donc encore pour un moment une Cour Suprême qui devrait demeurer conservatrice et garantir la Constitution et le Bill of Rights.
Au plan du soi-disant "isolationnisme" de Trump, j'aurai également des choses à dire, et là aussi sans doute des parallèles avec Roosevelt et Reagan, mais c'est de la politique internationale, et donc fera l'objet d'un autre billet dans, j'espère, les prochains jours.