SYRIE : La légion Condor de Vladimir Poutine
En achevant la rédaction de mon dernier billet, consacré au parallèle historique entre le couple fascisme-bolchévisme au mitan du XXe siècle et l'actuel couple poutinisme-djihadisme, et émettant l'idée que l'intervention de Vladimir Poutine pourrait constituer l'ouverture d'un deuxième front comparable à l'aventure sur le Front Est d'Hitler, avec des conséquences semblables pour le régime russe en termes de coût humain et financier, j'étais un peu gêné aux entournures : l'ampleur des opérations ne collant pas exactement, je me disais que, peut-être, nous assistions à une répétition à une échelle inférieure, en raison du fait que nous étions désormais dans l'ère des armes nucléaires, des systèmes d'armes électroniques et que sais-je. L'explication que je me donnais, sans la formaliser dans le billet, ne me convenait pas tout à fait, et ce d'autant moins que le scénario vers lequel tout cela conduisait ne collait pas exactement avec l'idée d'une guerre de grande ampleur autour de la Russie, ce que pourtant je prévois par ailleurs.
L'ennui, lorsque l'on fait de la recherche tout seul, c'est que l'on réfléchit plus lentement et que l'on passe parfois à côté d'éléments ou de points de vue qui donneraient une perception différente des choses. C'est pour cela que je tiens un blog, car cela me confronte fréquemment à des objections constructives de mes lecteurs, qui m'aident à progresser. C'est ainsi qu'après une discussion avec mon ami Julien Lalanne, qui maîtrise parfois mieux mes propres méthodes que moi, je dois réviser la position que j'ai présentée dans ledit dernier billet. En effet, l'analogie historionomique qu'il m'a proposée me paraît plus pertinente et coller mieux avec les données que ce que j'avais envisagé.
L'idée est que, contrairement à ce que j'envisageais, la Russie de Vladimir Poutine n'en est pas encore au stade des grandes manoeuvres militaires mais est toujours dans la phase qui fut, pour l'Allemagne, celle de la montée en puissance dans la période de "pré-guerre".
Ainsi donc, il faut toujours considérer l'action dans le Donbass et la "nouvelle Russie" comme comparable avec ce qu'Hitler fit dans les Sudètes après l'Anschluss, celle-ci étant plutôt comparable à l'annexion de la Crimée. La phase réelle d'agression contre l'Occident démocratique, qui pour l'Allemagne fut la conquête de la Pologne puis la guerre en France, n'a pas encore trouvé d'équivalent, et ce qu'il s'est jusqu'ici passé en Ukraine n'est pas interprétable comme un tel événement à échelle réduite.
Par là-même, la bonne interprétation de ce qu'il se passe en Syrie n'est pas une reproduction en échelle (très) réduite du plan Barbarossa et une entrée en guerre totale contre le djihadisme, comme l'invasion allemande de la Russie fut le début d'une guerre totale contre le bolchévisme.
Non, ce qu'il se passe en Syrie, et c'est là une analogie beaucoup plus pertinente, doit être assimilé à l'intervention d'Hitler dans la guerre d'Espagne, avec l'envoi du corps expéditionnaire limité (un peu plus de 6000 hommes) de la légion Condor, afin de soutenir un dictateur ami dans sa guerre civile contre les révolutionnaires rattachés au mouvement internationaliste d'alors (le socialisme) ; et ce alors même qu'Hitler maintenait des relations apaisées avec l'URSS, qui devaient aller jusqu'à la conclusion d'un Pacte de non-agression 3 ans plus tard.
La guerre d'Espagne, en son temps, choqua les opinions par sa brutalité, comme aujourd'hui celle de Syrie, et précipita des flots de réfugiés en Europe, spécifiquement en France. Elle permit à Hitler de tester en grandeur nature et action réelle ses nouveaux équipements militaires, à visage découvert, ce qu'il n'avait pu faire chez ses voisins directs. Du côté des Républicains, comme pour aujourd'hui des insurgés syriens, spécifiquement de l'Etat islamique, nombre de combattants étaient des étrangers venus participer à une guerre idéologique : les Brigades Internationales.
Elle provoqua aussi l'inquiétude de ses voisins, puisque la France haussa brusquement son budget militaire de 25% en 1936.
L'intervention de Poutine est comparable à cela : des effectifs qui, même s'ils grossissent encore, demeureront limités, qui combattront des djihadistes sans déclarer une guerre globale à l'islamisme, au contraire même, puisque par ailleurs Vladimir Poutine vient d'inaugurer à Moscou la plus grande mosquée d'Europe ; et l'on se souvient que, d'ores et déjà, la Tchétchénie est dirigée par un satrape islamiste, Ramzan Kadyrov, et que de manière générale le régime poutinien veille à intégrer dans son combat national les fortes minorités musulmanes de Russie.
En intervenant en Syrie, Poutine pourra tester ses nouvelles armes sans se cacher, et surtout employer ses avions, ce qu'il ne pouvait faire en Ukraine, afin d'exercer ses pilotes en conditions de combat réel. Il pourra peut-être aussi, comme le fit Hitler, par roulement, donner un peu d'expérience du feu à ses troupes au sol. La Russie pourra compter sur l'opinion divisée des Occidentaux, hésitant entre deux maux, le djihadisme ou la brutalité d'Assad, pour pouvoir agir avec relativement d'espace - tout comme les démocraties n'osèrent s'ingérer directement en Espagne jadis, ne pouvant exactement soutenir des Républicains très radicaux et violents, ni la répression militariste de Franco.
Je pense que les gouvernements occidentaux ne sont pas dupes et sentent combien la situation mondiale se crispe. Ainsi, en France, le budget militaire va augmenter de près d'un milliard d'euros en 2016.
C'est donc cette inteprétation, ce parallèle avec l'intervention de l'Allemagne en Espagne qui me paraît la plus pertinente, beaucoup plus pertinente que celui que je faisais hier : c'est une intervention mesurée, limitée, qui tient à la fois de la manoeuvre stratégique (pour Hitler il s'agissait d'avoir un régime ami au sud de la France, pour Poutine il s'agit de conserver un pied au Moyen Orient et son précieux port de Tartous) et de l'exercice militaire à grande échelle, un cran au-dessus des purs exercices menés sur le territoire russe, et à visage découvert, sans se cacher dans la "guerre hybride", ce qui permet d'employer tout le matériel disponible, spécialement l'aviation.
C'est une manoeuvre qui ne s'inscrit pas encore dans la guerre, mais dans la pré-guerre, comme le fut l'intervention de la légion Condor en Espagne, trois ans avant le début de la Seconde guerre - et ces trois ans sont bien le délai que j'ai prévu il y a quelque temps et nous séparant du début des vraies hostilités à l'échelle mondiale.
Cette analogie a le mérite d'être à la fois plus systématique, plus conforme à l'ampleur relative des différents éléments observables, et de coller mieux avec l'idée du conflit mondial que je vois se profiler et dont je parlais tantôt.
Notons d'ailleurs, pour finir, que l'intervention russe n'aura pas pour effet et n'a certainement pas pour but de ramener l'ordre en Syrie et de stopper le flot de réfugiés vers l'Europe : ce flot de réfugiés est une manne politique pour Poutine, la crainte de l'invasion entretenue en Europe stimulant la montée du populisme poutiniste et renforçant les réseaux pro-poutine sur le continent. Il est même plutôt à prévoir que le flot s'amplifie, en particulier si Poutine profite des divisions occidentales pour perpétrer sur le sol syrien, sous couvert d'une lutte contre le djihadisme, un nouveau Guernica.
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