Fausses équivalences et vraie désinformation
J’ai lu il y a quelque jours un article qui m’a laissé un profond malaise, en ce qu’il s’inscrit dans cette mode très néfaste qui cherche à équiparer Amérique et Russie, afin de défendre une vision de l’Europe et du monde qui, en réalité, ne sert que les intérêts stratégiques de la seconde.
Dans cet article, on trouve ce genre de mensonge par omission qui se dissimule sous des formules malhonnêtes comme « Néanmoins, les chiffres sont là ; tirez-en ce que vous voudrez. » qui visent à se donner une apparence de parfaite objectivité et à faire croire qu’on se contente noblement de livrer des faits, sans chercher à convaincre, à prêcher pour une paroisse, ce qui n’est en réalité qu’une façon de désarmer l’esprit critique du lecteur afin de lui faire avaler tout cru, comme fait, ce qui n’est qu’une sélection biaisée et interprétation mensongère de données.
Notez ainsi le petit tableau en fin d'article, archétype du mensonge par omission volontaire et trafic de statistiques : ainsi, on cherche à montrer la "méchanceté" des Etats-Unis en montrant qu'ils ont le plus haut taux d'individus emprisonnés (sans nier le fait que c'est un problème, bien dénoncé notamment par les libertariens américains qui y voient le résultat de la "guerre contre les drogues") mais en taisant soigneusement la question des exécutions capitales qui étaient, pour 2012, de 43 personnes aux Etats-Unis, 314 en Iran et plusieurs milliers en Chine (au moins 2000 personnes, pense-t-on). Ce qui signifie que proportionnellement, l'Iran condamne à mort environ 30 fois plus que les USA ( population 4,1 fois inférieure, 7,3 fois plus d’exécutions) , la Chine au bas mot 11 fois plus (population 4,2 fois supérieure, au moins 45 fois plus d’exécutions). Dit autrement, pour être au niveau de la Chine les Etats-Unis devraient exécuter 500 personnes par an, pour être au niveau de l’Iran 1300.
En Russie, les gens ne sont certes pas condamnés à mort... ils sont juste opportunément assassinés, comme Nemtsov ; dans un tel contexte de pouvoir mafieux, il faut donc chercher les morts dans le taux d'homicide russe, qui est plus de deux fois plus élevé que celui des Etats-Unis.
Et bien sûr l'article se garde, n'abordant pas la question de la peine de mort, de souligner les différences de motivation de cette peine de mort : aux Etats-Unis, elle est prononcée par des tribunaux respectant des procédures d’Etat de droit, et sanctionne des crimes universellement reconnus : meurtre, viol, etc… Le système judiciaire américain, pas plus qu’aucun autre dans les pays démocratiques, n’est parfait, ni à l’abri des erreurs judiciaires, évidemment d’un degré de gravité extrême quand l’issue de cette erreur est la mort d’un innocent.
Cependant, en Iran comme en Chine, la peine de mort est l’issue de procès loin d’offrir les mêmes garanties à l’accusé, quand seulement il y a procès, et sanctionne des comportements qui ne sauraient être universellement reconnus comme des crimes ; nous pensons spécifiquement aux « crimes » politiques.
Toutes ces considérations sont soigneusement ignorées par l’article en question.
Bref, un archétype de pollution du débat et de malhonnêteté intellectuelle.
D’aucun vont, sans doute, encore me traiter de fichu atlantiste. Ce n’est pas le cas.
Le problème, c’est cette équivalence mal placée, que j’ai déjà évoquée, que d’aucuns tentent d’établir entre les Etats-Unis et leurs rivaux/ennemis : la Russie, la Chine, l’Iran, etc.
De nombreux libéraux et libertariens français ont repris cette habitude des libertariens américains, qui recourent souvent à ces procédés.
Le problème, c’est qu’à l’origine, ce procédé est censé permettre de discerner, dans un pays de liberté comme les USA, tout un tas de problèmes en disant « voyez, l’Amérique fait ceci, et elle l’a en commun avec ces pays qui ne sont pas des états de droit ni des démocraties ». Dans cette approche, l’idée est de dénoncer des travers de l’Amérique en pointant l’identité de comportements néfastes avec des pays de mauvaise réputation.
Mais au contraire, dans le discours de nombreux libertariens, et par-delà celui des poutinistes, ce discours s’inverse : il ne s’agit plus de dénoncer les travers de l’Amérique en la mesurant à l’étalon du mal que sont ces pays de mauvaise réputation, mais au contraire de légitimer les mauvaises habitudes de ces pays en arguant du fait que les Etats-Unis feraient pareil.
Cette façon de raisonner ne sert absolument pas le combat pour la liberté, pas plus que celui pour une appréhension équilibrée des choses.
Au contraire, les seuls bénéficiaires en sont ceux qui, de cette façon, arrivent à faire accepter leur haut degré d’immoralité politique en brouillant le jugement du public ; et ces gens-là sont rarement des amis de la liberté.