http://www.atlantico.fr/decryptage/mais-quoi-peut-mener-malaise-qui-monte-en-france-quelques-scenarios-possibles-vincent-tournier-philippe-fabry-arvernes-yves-3553908.html

Ma propre réponse à la question :

Q- A l'occasion de son "itinérance mémorielle" Emmanuel Macron a été interpellé par un retraité qui a déclaré « Vous ne sentez pas le malaise qui monte en France ? ». Dans un contexte social et politique sensible, notamment en raison de l'émergence des gilets jaunes, ou encore de l'arrestation de personnes liées à ce qui est appelé "l'ultradroite" qui auraient projeté un attentat contre le président, comment évaluer cette "menace qui monte" en France ? Quel pourrait en être le scénario ?  

Le premier symptôme de ce malaise qui monte se trouve dans la manifestation, organisée dans son principe mais très spontanée dans le succès qu'a eu l'idée, qui s'est répandue comme une traînée de poudre, du 17 novembre prochain. Il est bien sûr difficile d'anticiper son succès mais l'écho qu'a l'événement prévu a une caractéristique importante car très rare : il s'agit d'un appel à un blocage, certes, mais qui ne touche pas une corporation, une profession, mais l'ensemble du peuple français : le citoyen lambda est appelé à manifester contre la hausse des prix des carburants, qui est une question transversale à la société française, car la taxation des hydrocarbures touche tout le monde : l'actif jeune ou moins jeune qui a besoin de sa voiture pour aller travailler, le retraité qui se chauffe au fioul, etc. Qui plus est, cela touche d'abord et avant tout le pays profond, celui qui ne bat jamais le pavé des grandes villes pour protester : le monde rural, ou la population des lointaines banlieues. C'est le "vrai peuple", celui qui n'a pas de chefs syndicaux, pas de groupes d'intérêts, pas de lobbies, ulcéré par un "vrai problème", touchant la vie quotidienne : se rendre au travail, faire les courses, et pas la PMA, la GPA ou le mariage homosexuel. Cela tient un peu de la révolte frumentaire : jadis on s'insurgeait comme le prix du pain ou la gabelle du sel, comme en 1789, aujourd'hui contre celui de l'essence, c'est-à-dire un élément central de la consommation de base. D'ailleurs, on a pu entendre le terme de "jacquerie" prononcé avec le mépris médiatico-politique qui accueille ce mouvement, considéré presque vulgaire. Emmanuel Macron a osé dire qu'on ne pouvait pas lui reprocher à la fois de ne pas assez en faire pour l'écologie et de taxer les carburants, oubliant - ou, pire, ignorant - que la qualité de l'air est un souci de Parisien auquel les provinciaux ne sont guère confrontés, précisément à l'inverse du prix des carburants. Il me semble que ce quinquennat montre, probablement depuis la limitation à 80km/h, un excès de parisianisme dans la mesure des priorités, totalement déconnecté des préoccupations du reste du pays.
Voilà pour le malaise qui monte, auquel il faut bien sûr associer la question identitaire, plus uniformément répartie sur le territoire, puisque l'immigration de masse affecte surtout les grandes agglomérations.
Que pourrait-il produire d'autre ? Il me semble que la réponse est à chercher du côté de l'Italie, un pays très proche de nous par la mentalité - Cocteau disait que les Italiens sont des Français de bonne humeur - et qui dans les quinze dernières années a montré une surprenante anticipation de notre propre évolution : les grandes années de Berlusconi, le dirigeant bling-bling et people, ont précédé de peu la présidence de Sarkozy, auxquelles ont succédé respectivement l'austérité technocratique de Monti et le matraquage fiscal de la présidence normale d'Hollande, puis l'arrivée du fringuant Renzi dont on espérait qu'il sauverait le système, peu avant le basculement vers le populisme aujourd'hui incarné par Salvini. En France, le jeune espoir a été Emmanuel Macron, candidat jeune et sans attache politique dans lequel on a voulu voir un moyen modéré de renverser la table, et qui semble aujourd'hui un peu dans l'impasse. Fait notable, c'est sur le rejet de sa réforme parlementaire par référendum en décembre 2016 que Renzi est tombé, réforme qui visait à la diminution du nombre des parlementaires et la diminution du coût de fonctionnement des institutions. C'est exactement sur la même question que la présidence Macron a commencé à déraper, l'été dernier, avec la sortie de l'affaire Benalla. La réforme, repoussée mais toujours envisagée, devrait entraîner la suppression de 242 circonscription, dont 70% en milieu rural, ce même milieu rural déjà frappé par la réforme des 80km/h et la surtaxe des carburants ; la réforme aurait pour effet de diminuer sa représentation démocratique, et donc sa capacité d'insurrection électorale, ce qui peut s'interpréter comme une volonté de réduire la France profonde et populaire au silence.  A ce propos, méfions-nous des manipulations médiatiques : le soudain complot de l'ultradroite, ou encore la petite phrase de Macron sur Pétain, ont tout l'air d'affaire montée en épingle et de polémique préméditée pour occuper l'espace et faire oublier les gilets jaunes, le prix des carburants et les vrais sujets qui fâchent le peuple.

En définitive, la France profonde pourrait bien finir par neutraliser Macron comme l'Italie profonde a fait tomber Renzi, et pour les mêmes raisons. On peut donc s'attendre à voir émerger un Salvini français, même si pour l'heure on ne voit pas bien qui pourrait endosser ce costume.