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Le texte avec mes réponses :
"1-A l'occasion de son déplacement le 10 mai à Aix la Chapelle, Emmanuel Macron a pu réitéré son appel pour une souveraineté européenne en déclarant notamment :"Acceptons-nous la règle de l'autre ou la tyrannie des événements ou faisons-nous le choix de décider pour nous-mêmes de l'autonomie profonde et donc oui d'une souveraineté européenne ? Qui choisira pour nos concitoyens les règles qui protègent leur vie privée ? Qui choisira d'expliquer l'équilibre économique dans lequel nos entreprises auront à vivre ? Des gouvernements étrangers qui, de fait, organiseront leur propagande ou leurs propres règles ? Des acteurs internationaux, devenus passagers clandestins d'un système qu'ils décident parce qu'ils l’organisent, ou considérons-nous que cela relève de la souveraineté européenne ?". Une thématique qui a pu être renforcée par la déclaration d'Angela Merkel, à la même occasion, indiquant que l'Europe ne peut plus se reposer sur les Etats Unis pour sa protection". En imaginant que les européens se mettent d'accord, que devrait faire l'Europe pour retrouver une souveraineté réelle ?
Il s’agirait moins de la retrouver que de la trouver. L’Europe n’a jamais été souveraine. Les Etats-Nations européens l’étaient, jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale où ils se sont trouvés cernés par des super-Etats-nations aussi gros qu’eux tous réunis : les Etats-Unis d’un côté, l’URSS de l’autre. L’Est et l’Ouest de l’Europe sont alors devenus des vassaux de l’un et de l’autre, au sein de l’OTAN et du Pacte de Varsovie. « L’Europe » n’était alors qu’une Communauté Economique Européenne.
Les choses ont changé avec la chute de l’URSS et le délitement du Pacte de Varsovie : le Traité de Maastricht de 1993 a créé l’Union Européenne, ce qui a amorcé l’apparition d’une puissance politique plus indépendante des Etats-Unis : elle s’est élargie sur l’ancien espace communiste, et s’est affranchie du privilège du dollar en créant l’euro – quand la Chine et la Russie expliquent aujourd’hui vouloir mettre fin au privilège du dollar et présentent comme un acte de résistance mondiale la décision d’échanger dans leur propre monnaie, il faut se souvenir que les Européens ont décidé de faire la même chose entre eux depuis vingt ans, et que les Etats-Unis ne l’ont pas empêché.
L’attitude française et allemande à l’égard de l’intervention en Irak en 2003 a été un jalon symbolique sur cette affirmation de l’indépendance européenne.
Mais au bout du compte, il demeure une vérité simple qui est que pour être souverain, il faut être capable de se défendre seul. Et pour cela, il faut une armée. Et pour avoir une armée, il faut un budget.
C’est une constante historique : les Etats unitaires ou fédéraux, avec un budget et une armée permanente, dominent les formes confédérales. Pourquoi l’Angleterre, pourtant plus petite et moins peuplée, a dominé la France au début de la guerre de Cent Ans ? Parce que les rois d’Angleterre avaient une armée permanente, alors que les rois de France devaient recourir au service féodal, c’est-à-dire réunir les troupes de leurs vassaux, les faire se battre ensemble alors qu’elles n’y étaient pas habituées, étaient parfois rivales… ce qui débouchait sur des désastres militaires. La France a gagné la souveraineté, et définitivement rejeté les Anglais à la mer, avec la création de son armée permanente, au XVe siècle.
De même, l’Allemagne a été un champ de bataille pour l’Europe du XVIIe au XIXe siècle, où l’on pouvait toujours compter sur la division des princes, jusqu’à ce que la Prusse fasse l’unité allemande, et que le pays devienne la première force du continent.
Si l’Europe veut véritablement devenir souveraine, cela passe donc nécessairement par la mise sur pied d’une armée européenne, qui implique une certaine solidarité budgétaire.
2- Un tel projet est-il une chimère ? Quelles seraient les concessions à faire par les uns et les autres pour parvenir à rendre réalisable un tel projet de souveraineté européenne ?
Cela n’est pas chimérique, mais ne se fait pas d’un claquement de doigts. Pour reprendre l’exemple de l’Allemagne, qui eût cru, en voyant le Saint Empire morcelé de la fin du XVIIIe siècle, que soixante-dix ans plus tard l’Empire allemand serait proclamé dans la galerie des glaces, à Versailles, après une victoire tonitruante sur la France ? Personne, sans doute. Mais pour en arriver là, il a bien fallu soixante-dix ans et quelques guerres.
Aujourd’hui, il y a beaucoup d’obstacles à cette intégration européenne supérieure. La réticence allemande n’est pas le moindre : le fait est que l’Allemagne ne veut pas payer les dépenses de défense nécessaires. Il y a une véritable irresponsabilité du gouvernement allemand depuis des années, qui se cache derrière l’héritage nazi pour justifier son manque d’investissement dans l’appareil militaire. En réalité c’est un faux-semblant : durant la Guerre froide l’Allemagne a dû être rapidement reconstituée et solidement équipée pour prévenir une invasion soviétique. Ce n’est que depuis la chute de l’URSS que l’Allemagne a choisi de jouir pleinement des dividendes de la paix. Cela était admissible jusqu’à il y a quelques années, mais aujourd’hui le monde redevient dangereux et le passé nazi est une excuse commode pour ne pas faire ce qui devrait être fait : l’Allemagne devrait consacrer 2% de son PIB à la défense, elle n’en consacre qu’environ 1,2%, contre environ 2,3% pour la France. L’effort relatif français est donc double de l’allemand.
Et l’attitude allemande est d’autant plus irresponsable qu’elle est en outre mensongère : lorsque Donald Trump a exigé des alliés de l’OTAN, l’Allemagne notamment, qu’ils réhaussent leurs dépenses militaires pour atteindre leur juste part, Madame Merkel a dit une première fois que l’Europe ne pouvait plus compter sur les Etats-Unis. Aujourd’hui que Trump a rompu l’accord avec l’Iran, qu’il n’estime pas assez contraignant, elle a répété la même formule. Pourtant, qui envoie une brigade blindée en Pologne et du matériel dans les pays baltes pour dissuader la Russie ? Les USA. On a donc le sentiment qu’Angela Merkel a recours à une sorte de chantage affectif pour obtenir le maintien d’un parapluie américain solide sans faire aucun effort de défense.
Or, pour en revenir au problème de la souveraineté, cet effort de défense est central. Si l’Allemagne refuse de le faire, il ne peut pas y avoir d’Europe de la défense, et les appels de Madame Merkel sont tout à fait hypocrites.
3- Dans une telle configuration, quelle pourrait être la réaction américaine à la réalisation de cette souveraineté européenne ?
On se complaît souvent dans l’idée que les Américains feraient tout pour maintenir l’Europe dans sa vassalité d’après-guerre. Il y a certes, sans doute, aux Etats-Unis des gens qui pensent et agissent dans l’idée que c’est une bonne donne stratégique qu’il faut maintenir, mais ce n’est certainement pas une position unanime, ni même majoritaire.
En réalité, c’est bien souvent une excuse des Européens eux-mêmes. Je citais plus haut l’exemple de l’euro, qui a permis à l’Union européenne de se soustraire en grande partie au privilège du dollar : cela donne une bonne idée de ce que serait une réaction américaine à la réalisation de la souveraineté européenne, c’est-à-dire pas grand-chose.
Aujourd’hui encore, les Etats-Unis ne cherchent pas à diviser l’Europe. Souvenons-nous que Barack Obama s’était même prononcé contre le Brexit. Il est allé jusqu’à employer un ton menaçant pour que le Royaume-Uni ne quitte pas l’Europe.
Il faut se souvenir que les divisions de l’Europe ont été un fardeau pour les Etats-Unis durant tout le XXe siècle : ils ont dû intervenir dans la Grande guerre, libérer l’Europe durant la Seconde, puis la protéger de l’URSS le reste du temps. A chaque fois ce sont les Européens qui ont demandé l’aide des Etats-Unis. Pour l’Amérique, une Europe divisée et faible est une source de problèmes, et d’instabilité ; une Europe unie et capable de se défendre seule est au contraire un gage de paix, de stabilité et de prospérité. Lorsque Trump nous demande de prendre notre défense en main, il est tout à fait dans cette perspective.
De fait, les Etats-Unis redoutent une division de l’Union européenne, et l’on sait pourquoi si l’on se souvient de qui la recherche : Vladimir Poutine. C’est le Kremlin, pas la Maison-Blanche, qui finance les partis eurosceptiques en Europe. C’est la Russie qui aurait intérêt à voir éclater l’Union européenne, afin de n’instaurer que des relations bilatérales dans lesquelles la position russe serait bien plus dominante que face au bloc européen.
Toujours dans le même sens, depuis des années les présidents américains, de George W. Bush à Donald Trump, exigent un effort militaire accru des Européens pour leur propre défense, alors que Poutine, lui redoute une telle augmentation des budgets militaires, et est sur la même ligne que du temps de l’URSS, qui vise à encourager le pacifisme en Europe, précisément pour obtenir une baisse de ces budgets."