Risque de guerre Algérie-Maroc et hypothèse d'intervention russe
Voici un an et demi, j'ai publié un bref article dans lequel j'envisageais la possibilité d'une intervention russe en Méditerranée, celle-ci étant une composante du schéma de "l'impérialisme revanchard" déjà observé dans la France napoléonienne et l'Allemagne hitlérienne. En effet, Napoléon comme Hitler ayant diligenté une expédition sur la rive sud de la Méditerranée, restées respectivement dans les mémoires comme la Campagne d'Egypte et la Guerre du Désert, je tentais un petit raisonnement géographique dont le résultat me paraissait pointer vers la Libye. J'ai repris la carte illustrant cette projection dans mon Atlas des guerres à venir (janvier 2017), sous la forme suivante :
Il est aisément constatable que cette projection est faite en considération de deux observations : le déplacement vers l'Ouest du théâtre des opérations, et la constance de la taille du théâtre des opérations.
C'est là qu'apparaît une difficulté car, en réalité, au moment où j'ai envisagé cette possibilité et tenté d'opérer la projection il y avait deux manières d'envisager le problème : ne considérer la Guerre du Désert que sur la zone géographique s'étendant du point de départ de Rommel à son avancée maximale, ce qui a été retenu ci-dessus, ou bien tenir compte de l'intégralité des affrontements, qui se sont poursuivi par le recul de l'Afrikakorps jusqu'à son point de départ, mais aussi sa retraite au-delà, à travers toute la Libye, jusqu'en Tunisie. Ce dernier choix avant l'avantage de prendre en compte, comme pour la Campagne d'Egypte, la totalité des opérations, mais la Campagne d'Egypte n'ayant pas connu une telle retraite sur des centaines de kilomètres il était possible qu'il ne s'agît que d'un artéfact géographique qui ne doive pas être pris en compte.
Je dois en effet rappeler que mes méthodes sur ce point sont encore largement tâtonnantes, et qu'il m'est difficile parfois de mesurer ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas. Et je dois avouer que, bien souvent, j'ai un biais intellectuel qui consiste à me limiter dans les projections, de peur que, si je suivais exactement ce qu'annoncent mes modèles, les projections ne paraissent aux lecteurs totalement farfelues - trouvant ces projections parfaitement exagérées moi-même.
Pourtant, il m'est déjà arrivé de constater que mes modèles méritaient une confiance supérieure à celle que j'aurais tendance à leur accorder moi-même, et que s'ils impliquent des prévisions sensationnelles, ce n'est pas qu'elles sont exagérées, mais que la réalité peut en effet être stupéfiante.
Le meilleur exemple que j'ai de cette prudence déplacée se situe précisément dans l'un des tous premiers efforts de prévision que j'ai fait en 2003, soit justement à l'époque où j'ai commencé mes recherches et où mes observations étaient très embryonnaires, limitées à ce que j'ai appelé plus tard les trajectoires A et B : le parallèle, qui m'est apparu dès le début, entre les antagonismes antique Rome/Carthage-Macédoine et moderne Amérique/Russie, laissait à penser qu'on devrait assister à un retour de puissance et d'agressivité russe, et à une nouvelle confrontation russo-américaine, d'une intensité au moins égale à celle de la Guerre froide. Pour autant, je n'y ai pas cru : en 2003, rien ne le laissait penser, la Russie commençait juste à se stabiliser, on était encore loin du réarmement, et plus encore de l'annexion de la Crimée et de l'intervention en Syrie. Même en 2010, lorsque je mettai sur pied mon précédent site internet (consultable à l'adresse suivante, MAIS JE LE DECONSEILLE puisqu'il semble avoir été infecté par un malware, étant donné que je ne l'ai pas entretenu depuis des années : http://mafuturologie.free.fr) une telle confrontation me semblait encore hautement improbable. Et pourtant, 15 ans après mes premières projections, je ne peux que constater que la prédiction la plus stricte du modèle était la plus proche de la vérité.
Or donc, je pense avoir fait la même erreur cette fois-ci. En effet, en même temps que la projection ci-dessus concernant une intervention russe en Méditerranée, j'avais aussi envisagé la deuxième hypothèse, prenant en compte l'intégralité du périple de l'Afrikakorps, et donc une zone d'opérations bien plus vaste, et en définitive deux fois plus importante que la campagne égyptienne de Napoléon. Suivant cela, une projection amènerait l'intervention russe non seulement plus encore à l'Ouest que la Libye, mais sur une zone encore deux fois plus vaste, selon la carte suivante, que je n'ai donc pas sélectionnée pour l'Atlas :
Où l'on voit donc que les opérations toucheraient vraisemblablement l'ensemble du Maghreb, le détroit de Gibraltar, et possiblement les côtes espagnoles.
Cette projection, il y a un an et demi, me paraissait parfaitement invraisemblable, alors qu'au contraire la première, quoique moins stricte, collait plus avec les indices géopolitiques visibles : l'installation du terrorisme en Libye, qui avait déjà justifié l'intervention de Poutine en Syrie, et le rapprochement de la Russie avec le général Haftar dans l'Est libyen. J'ai donc, peut-être à tort, écarté cette projection invraisemblable, pensant que, puisque la première hypothèse de lecture collait mieux aux faits observables, elle devait être la bonne.
Et pourtant, cette projection invraisemblable, progressivement, comme ce fut avant elle le cas pour celle d'une confrontation russo-américaine, devient vraisemblable, et plus vraisemblable que l'hypothèse alternative.
Ainsi ai-je observé, depuis quelques temps, et je pense que ceux qui surveillent ce média autant que moi le confirmeront, que Sputnik consacre de plus en plus d'articles à l'allié de la Russie qu'est l'Algérie, et notamment à la qualité de ses forces armées. Cela suscitait ma curiosité depuis quelques semaines, me souvenant de cette projection invraisemblable.
Mais l'actualité brûlante est allée plus encore dans ce sens, puisque le Maroc vient non seulement de rompre ses relations diplomatiques avec l'Iran, le grand allié de Moscou au Moyen-Orient, mais que sa situation se tend également fortement avec son voisin algérien, que le royaume accuse d'aider l'Iran à soutenir clandestinement le Front Polisario. L'Algérie envisage des représailles diplomatiques. Au début du mois d'avril, le Maroc avait même menacé d'une intervention militaire au Sahara occidental.
Même si je demeure circonspect, je vais donc surveiller avec attention l'actualité sur ce front, et non plus concentrer ma veille sur l'actualité libyenne. Cela sera un test intéressant que de vérifier laquelle des projections, la "stricte" ou la "pondérée" était en définitive la plus proche de la réalité.