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Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
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25 janvier 2016

Fiscalité et propriété, une opposition entre autonomie individuelle et intervention étatique

Aujourd'hui, je vous offre la reproduction de l'article complétant le précédent que j'ai publié il y a un peu plus d'un an dans les colonnes du magazine 25 millions de propriétaires.

Fiscalité et propriété, une opposition entre autonomie individuelle et intervention étatique

Dans notre précédent article, nous avons tenté d’expliquer comment le régime de démocratie libérale est intrinsèquement lié à l’existence d’une forte population de petits et moyens propriétaires, ceux-ci développant et portant une conception particulière du Pouvoir et du rôle de l’Etat. A présent, essayons de comprendre la place de la fiscalité dans le dialogue historique entre Etat et propriétaires, ce qui sera l’occasion de revenir plus précisément sur le rôle de la propriété dans la naissance de la démocratie française.

Le contrôle du pouvoir par la fiscalité ?

A l’avènement des grandes démocraties libérales, antiques comme modernes : Athènes, Rome, Angleterre, France, Etats-Unis d’Amérique, on trouve une conception du citoyen actif, celui apte à prendre des décisions au nom du peuple dans le cadre du système politique, fondée sur la propriété. A Athènes, cela est manifeste dans la constitution de Solon qui, au VIe siècle, ordonne la population civique en quatre classes réparties selon la richesse ; modèle proche de celui pratiqué à Rome à la naissance de la République lequel, outre la distinction entre patriciens et plébéiens, répartit les citoyens en cinq classes pour les comices centuriates, les assemblées populaires les plus importantes de la République. Aux Etats-Unis, le droit de vote et l’éligibilité furent initialement, et quoique brièvement, conditionnés par la propriété foncière. En Angleterre, le système électoral du Parlement était fondé sur la possession d’un bien immobilier. En France, la Constitution de 1791, rédigée par une Constituante soucieuse des intérêts de ses membres, eux-même tous propriétaires puisqu’issus d’une élection aux Etats-généraux au suffrage censitaire, prévoyait des conditions de cens. La Constitution de l’an I, celle de la Première République, jamais appliquée, instaurait pour la première fois le suffrage universel, sur lequel il fut revenu par la suite : sous Napoléon, la Restauration et la monarchie de Juillet, le suffrage demeura censitaire.

Les arguments à l’appui du suffrage censitaire ont toujours été les mêmes : voter est un acte sérieux qui nécessite, pour ne pas précipiter les affaires publiques vers la ruine, de n’être exercé que par des individus instruits, et aptes à la gestion d’un patrimoine, puisque c’est ce en quoi consiste le gouvernement. En outre, élire des propriétaires ayant une certaine fortune doit être une garantie contre la corruption, puisqu’il est moins aisé d’acheter un riche qu’un pauvre ; la propriété devait constituer une garantie préalable de probité.

Et bien sûr, il faut ajouter à ces arguments celui de la contribution : puisque l’argent qui sera dépensé dans le cadre du gouvernement est celui issu des recettes fiscales, il est normal que ceux qui décident de ces dépenses soient ceux qui ont payé.

Mais, fondamentalement, l’idée est que les propriétaires doivent contrôler le gouvernement, le circonscrire afin d’en supprimer la menace, la démocratie apparaissant généralement après une période de prédation étatique assez marquée : ainsi de Rome chassant son dernier roi, de l’Angleterre et de la France chassant l’absolutisme par la révolution, de l’Amérique proclamant son indépendance. De ce point de vue, la fiscalité peut être perçue comme un moyen pour les contribuables de contrôler l’Etat en faisant de celle-ci non une menace pour la propriété, mais un instrument d’assainissement du Pouvoir, en le faisant habiter uniquement par des hommes en ayant la même « culture » politique, celle d’individus autonomes n’attendant pas leur subsistance des faveurs d’autrui ou de l’Etat, et voyant ce dernier non comme un maître s’élevant au-dessus du peuple, mais comme l’appareil au service d’une association d’hommes libres.

Malheureusement, cette conception de la fiscalité n’a jamais duré.

 

La nécessaire destruction de la propriété par la fiscalité 

Dans le précédent article, nous avons pu rappeler que l’accroissement de la sphère d’intervention de l’Etat a deux types de partisans : les très grands propriétaires et les non-propriétaires. Les premiers espèrent en tirer un accroissement de leur fortune, suivant un système de connivence avec l’Etat dont ils peuvent obtenir des réglementations favorables, des subventions, des rentes de situation grâce aux marché publics ; les seconds la sécurité économique par la distribution d’aides sociales. Nous notions également que la plupart des démocraties libérales périssent par l’antagonisme entre grandes fortunes et infortunés après la disparition de la petite et moyenne propriété, écrasée par le jeu de la redistribution vers le haut et vers le bas. Ainsi d’Athènes, où la redistribution par l’Etat ne cessa de s’accroître dès les débuts de la démocratie : Périclès, à la fin du Ve siècle, instaura le misthos, sorte de salaire civique destiné à encourager les pauvres à participer aux assemblées ; ainsi, après avoir exigé que les hommes soient fortunés pour avoir un pouvoir de décision politique, se mettait-on à payer les hommes pour voter. Cette mesure, financée par l’impôt, conduisit aux terribles guerres civiles de la fin du Ve siècle, avec les régimes oligarchiques des Quatre-Cents puis des Trente Tyrans. Ainsi de Rome, où l’enrichissement de la classe sénatoriale aux dépens des petits paysans nécessita la mise en place, à la suite des lois frumentaires des Gracques, de distributions publiques de blé au peuple, avant que l’accroissement du déséquilibre économique n’entraîne la longue guerre civile du Ier siècle et aboutisse à l’Empire.

C’est le grand drame de la petite et moyenne propriété que d’être ainsi cernée par des intérêts contradictoires aux siens, et par-delà le grand drame de la démocratie libérale. Nos sociétés modernes sont sur la même pente et cela est visible spécifiquement dans le cas français.

Sous la Restauration puis la monarchie de Juillet, le suffrage censitaire a montré ses limites : Arago dénonçait, en 1840, ce système électoral dans lequel un homme sur quarante, soit moins de 3% de la population, pouvait voter, et recevait pour cela l’affection des ouvriers qui réclamaient le suffrage universel. Il faut noter que ce suffrage censitaire était extrêmement restreint et réservé à la grande et très grande propriété, par suite de quoi le gouvernement ressemblait, suivant le mot de Tocqueville, à un conseil d’administration : à un tel gouvernement, contrairement aux souhaits des révolutionnaires, le suffrage censitaire n’apportait pas seulement des hommes désintéressés et habiles au gouvernement mais des individus très fortunés et soucieux de préserver leur fortune. D’où les législations protectionnistes retardant de plusieurs décennies la mécanisation de l’industrie française et interdisant au peuple français l’accès aux produits peu chers en provenance d’Angleterre, qui ne devait devenir possible qu’avec le Traité franco-anglais de 1860 ; d’où aussi une législation antisyndicale opprimant les ouvriers, et d’où la résistance opiniâtre de la classe politique à l’extension du corps électoral. Ainsi, alors que l’Angleterre étendit progressivement, tout au long du XIXe siècle, le droit de vote, le refus d’Adolphe Thiers et de Guizot de faire de même en France provoqua une autre révolution, en 1848, où la petite et moyenne propriété trouvait un intérêt politique commun à celui des ouvriers, contre ce qui constituait en réalité une sorte d’oligarchie.

S’ouvrit alors ce que l’on peut appeler, en France, le temps de la petite et moyenne propriété, celui de l’apogée de la démocratie libérale, de la fin du Second Empire aux années 1960 (abstraction faite, bien sûr, de la catastrophe de 1940 et de ses conséquences). La nouveauté de l’ordre politique, le suffrage universel, devait en effet d’abord profiter aux propriétaires jusque-là privés de droit de vote car pas assez fortunés : jusqu’à l’avènement de la SFIO en 1905, les revendications redistributrices devaient demeurer très marginales ; les ouvriers, n’ayant pas accès économiquement à la propriété, réclamaient à cette époque de meilleures conditions de travail et le droit syndical, pas des aides sociales sonnantes et trébuchantes. L’ordre juridico-politique qui se mit en place répondait donc à la mentalité d’une population composée essentiellement de petits propriétaires encore ruraux, ou artisans et commerçants des villes, soit ces petits et moyens propriétaires accoutumés à vivre en autonomie, sans rien demander à personne : le résultat fut naturellement une société de liberté, avec ses grandes lois sur la presse (1881) et l’association (1901), et un recul du néfaste protectionnisme en vigueur jusque-là. La dépense publique, fortement circonscrite par l’électorat, représentait en 1913 moins de 9 % du PIB, contre 57% aujourd’hui. Dans l’entre-temps, comme à Athènes et à Rome, la fiscalité est devenue un instrument de redistribution massive.

 

 La propriété foncière, cible privilégiée de la redistibution

Dès la fin de la Révolution se manifestèrent les premières visées redistributrices : en 1798 fut créé l’impôt sur les portes et fenêtres, se surajoutant à la contribution foncière, et probablement la première forme d’imposition post-révolutionnaire destinée à « faire payer les riches », c’est-à-dire les propriétaires. Ce type de taxation ne se développa pas tout de suite, mais a fait florès durant les dernières décennies. C’est que la propriété immobilière, pour l’Etat, est une cible facile et prioritaire.

D’abord pour des raisons pratiques : la propriété immobilière est aisée à recenser, et à mesurer, sans nécessiter de lourdes et coûteuses investigations ; sa taxation est donc très rentable pour l’administration fiscale. En outre, elle est difficilement dissimulable : on ne peut cacher sa propriété foncière sous son matelas.

Mais au-delà de cet aspect pratique, une autre raison fait que le Pouvoir frappe toujours plus durement la propriété immobilière, une raison ontologique :  pour l’appareil d’Etat, elle est une ennemie mortelle, elle sape sa légitimité. Le propriétaire, disions-nous précédemment, est un personnage économiquement indépendant, qui n’attend pas sa subsistance de l’Etat, et pour lequel l’Etat doit être un serviteur, et non un maître. La classe politique et les administrations ont tout intérêt à ce que la population des propriétaires soit la moins importante possible, afin que le plus grand nombre d’individus soit dépendant de l’action de l’Etat, le légitimant et renforçant son pouvoir. C’est pourquoi la fiscalité ne cesse de se renforcer sur la propriété, et c’est dans cette optique que sont pensés des projets comme celui de la taxation des « loyers fictifs » : il s’agit au fond d’exproprier, de faire que le propriétaire ne soit plus maître chez lui, d’en faire un sujet de l’Etat aussi dépendant que les autres.  Il s’agit de faire de l’Etat le propriétaire en dernier ressort de tout, comme le seigneur l’était dans son fief, au Moyen Age ; ce qui signifie, bien sûr, la fin de la démocratie libérale.

C’est pourquoi le combat contre la progression de la fiscalité sur la propriété immoblière, spécialement petite et moyenne, doit être mené, et mené sans honte, sans le sentiment de faire montre d’un égoïsme de nanti face à un idéal redistributif généreux, car cet idéal redistributif a toujours fini dans la guerre civile, quand l’idéal de l’autonomie du propriétaire est à la base des plus belles expériences de liberté et de démocratie.

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Commentaires
J
L'autonomie individuelle est passée sous la table tandis que l'intervention étatique est comme une drogue dure. En écho, mon tout dernier post https://josickblog.wordpress.com/2016/02/08/pourquoi-on-ne-peut-nationalement-en-sortir/
Répondre
J
Mener un combat ? C'est mal connaitre cette France et donc perdre son temps ! https://josickblog.wordpress.com/2016/01/25/ces-petits-details-qui-font-que-la-france-est-a-rayer-de-la-carte-mondiale/
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  • Blog de Philippe Fabry, historien-théoricien. Ce blog reprend notamment ses travaux relatifs aux "lois de l'Histoire" et leur emploi pour mieux analyser le monde actuel. Tous les articles sont librement reproductibles, avec la mention www.historionomie.com
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