Voici un article initialement rédigé pour un autre média mais dont en définitive une autre version sera publiée, ne traitant pas exactement des mêmes sujets. Comme je n'aime pas gaspiller mon travail, ce sera le billet du premier jour de l'année. Bonne année à tous.
Généralement, lorsque j’essaie de faire de la prospective et de déceler les grandes lignes de l’avenir mondial, que ce soit sur mon blog ou dans mes livres, j’évite de réfléchir sur un laps de temps inférieur à l’année. Mais puisque l’on m’a proposé de donner mon avis sur ce que 2016 nous réserve, je me prêterai avec plaisir à l’exercice.
A tout seigneur, tout honneur : commençons par les Etats-Unis. L’évènement politique de 2016, bien sûr, sera l’élection présidentielle. Je ne prétendrai pas en donner le résultat, mais il semble en tout cas certain, qu’Hillary Clinton ou un républicain l’emporte, que le nouveau président aura à faire face à de nouvelles difficultés économiques : de nombreux indicateurs font craindre une récession ; en particulier, la baisse prolongée des prix du pétrole a porté un coup dur au secteur des hydrocarbures de schistes, dont l’expansion ces dernières années était un facteur important dans le mieux économique après la crise de 2008. Un prix bas du pétrole rendant ces exploitations peu ou pas rentables, le secteur risque de subir de nombreuses fermetures et le contrecoup pour les industries liées pourrait être douloureux. Le gouvernement américain l’a compris qui, en levant l’interdiction d’exporter le pétrole américain en vigueur depuis une quarantaine d’années, espère donner un peu d’oxygène à ces activités. Si cela permettra probablement aux grands groupes de redresser la barre, difficile de dire si cela sera suffisant pour éviter des faillites en cascade chez les petits exploitants et leurs fournisseurs.
Parlons de la Chine, du côté de laquelle je ne vois pas de grands bouleversements pour 2016. On assistera vraisemblablement à une accentuation du ralentissement économique, en particulier si il y a une récession américaine. L’on verra probablement de nouvelles frictions dans les Sptratleys et les Senkaku, comme on en a déjà vu cette année, mais la situation en Asie devrait rester stable, même si elle poursuivra son évolution vers une probable conflagration dans les années suivantes.
Pour ce qui est de la Russie, la situation économique devrait continuer de souffrir des sanctions occidentales - quoiqu’atténuées par le développement d’autres relations commerciales, notamment avec la Chine - et des prix bas du pétrole, mais le régime de Vladimir Poutine continuera de se renforcer à l’intérieur en abreuvant la population de mythe de la citadelle assiégée et de la gloire retrouvée de l’empire russe, tout en utilisant ses ressources pour poursuivre son réarmement tous azimuts.
Il me semble peu probable que la situation en Ukraine évolue drastiquement. Le conflit de basse intensité dans l’est devrait être maintenu, ainsi que la pression autour de Marioupol, le but russe étant pour l’instant de grever l’économie ukrainienne et d’entraver son développement, afin de le maintenir dans un état de faiblesse et de favoriser un futur retour d’influence, comme il y a quelques années après l’échec du gouvernement issu de la Révolution orange.
En revanche les efforts russes devraient continuer à se faire sentir au Moyen-Orient, que Vladimir Poutine cherche à remodeler de manière plus conforme à ses intérêts stratégiques. Je vois comme probable un accroissement de l’influence de l’Iran en Irak, et la vraisemblable constitution de l’arc-chiite comme conséquence du recul de l’Etat islamique sous les coups irano-irakiens et syro-russes, la coalition occidentale risquant fort de se trouver marginalisée par l’absence d’intervention terrestre massive de sa part – en définitive, les Occidentaux auront payé les bombardements permettant à l’Iran de réaliser son rêve géopolitique. La coalition terrestre annoncée par l’Arabie Saoudite n’aura vraisemblablement pas le temps d’entrer en action, il est d’ailleurs fort probable qu’Iran et Russie presseront le pas pour obtenir un fait accompli dans cette zone. A la fin de l’année, la situation stratégique irano-russe au Moyen orient devrait s’être fortement améliorée, et la situation occidentale détériorée. Spécifiquement en raison d’un recul de la Turquie, repoussée dans ses frontières et confrontée à des efforts de déstabilisation de la part de l’axe russo-chiite, qui excitera les Kurdes de Turquie ; d’ores et déjà, le parti prokurde HDP est instrumentalisé à cette fin par Moscou, avec une rencontre entre autorités russes et leader de ce parti qui a attisé les tensions politiques internes turques. Je prévois aussi du mouvement dans le Sud-Caucase, avec une exploitation russe du conflit arméno-azerbaïdjanais du Haut Karabagh pour accroître fortement l’influence et la présence militaire russes aux portes de la Turquie et sur le pétrole d’Azerbaïdjan sur lequel Erdogan compte pour compenser la perte du gaz russe.
En résumé, pour le Moyen-Orient, la marginalisation, voire la déstabilisation de la Turquie, et la constitution d’un bloc Syrie-Irak-Iran à la faveur de l’anéantissement de l’Etat islamique devraient constituer les axes majeurs de l’évolution de 2016, avec, peut-être, de premiers accrochages directs entre ce bloc et l’Arabie Saoudite dès la fin de l’année.
Terminons par l’Europe, où la crise migratoire devrait se poursuivre, et continuer de soumettre les institutions de l’UE à une forte tension. Les flux s’accroîtront de manière exponentielle si la Turquie elle-même vient à être déstabilisée. Il est très possible que des incidents comme l’expédition punitive de ces derniers jours à Ajaccio se multiplient sur le continent, mais je pense un embrasement improbable à cette brève échéance d’un an.
Toutes ces évolutions dans l’année à venir s’inscrivent dans des trajectoires plus vastes, bien sûr, et verront leurs ultimes développements se poursuivre par-delà 2016, suivant les grandes lignes que j’évoque, notamment, dans mon dernier livre.