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Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
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12 décembre 2015

Nomen iuris est autem a iustitia appellatum. Ulpien, l’étymologie, l’idée de justice dans la pensée juridique et politique de

Aujourd'hui c'est jour d'élection et, comme vous aurez compris que je préfère ne pas m'y impliquer, je vous livre copie d'un article que j'ai publié en début d'année dans la Revue Historique de Droit Français et Etranger, chez Dalloz. Histoire de relever un peu le niveau. Pour ceux qui ont lu mon livre sur Rome, cet article universitaire le complète.

7992988802_6964d20c0f_bLe juriste Ulpien, qui ne sortira pas indemne de cet article

Résumé. – De la redécouverte des compilations justiniennes jusqu’à la diminution progressive de l’importance du droit romain dans la formation des juristes européens à l’époque contemporaine, les propos d’Ulpien au De iustitia et iure ont constitué la référence la plus influente de la littérature juridique lorsqu’il s’agissait d’articuler droit et justice. L’étymologie explicative d’Ulpien demeure encore perçue comme le grand témoignage sur la façon dont, à Rome, on entendait l’un et l’autre termes. Que l’on accepte l’étymologie ou qu’on la conteste, on admet que ius désigne un ars, et iustitia une vertu. Pourtant la véritable étymologie, qui fait dériver iustitia de ius, et non l’inverse, interdit de conserver aux deux mots le sens que leur donne Ulpien lorsqu’on en recherche la signification ancienne, celle qui prévalait au début de la République : ius désignait alors le droit individuel du citoyen romain, et iustitia le respect de ce droit, soit un certain ordre juridico-politique. Interroger la signification profonde de l’inversion étymologique, et de la mutation sémantique qu’elle souligne, doit permettre de mieux comprendre l’évolution de l’idée de justice à Rome, de manifester l’inversion des valeurs politiques entre la République et l’Empire et de remettre en question l’image d’Ulpien telle qu’elle est donnée à voir dans l’historiographie moderne.

Le fragment d’Ulpien placé en ouverture du premier titre du Digeste fut commenté durant des siècles comme le grand principe fondateur du droit : la recherche de la justice[1]. L’influence de cette brève définition étymologique, nomen iuris est autem a iustitia appellatum, et plus largement de tout le De iustitia et iure sur la science juridique, sur la doctrine et aussi sur la philosophie du droit depuis la redécouverte des compilations justiniennes fut immense. Cette influence a d’ailleurs dépassé le droit et marqué la théologie, où le terme de « justice », attribut divin, a nécessairement été touché dans son acception par les idées que s’en faisaient les juristes, lesquels se disaient eux-mêmes sacerdotes iustitiae, précisément à la suite d’Ulpien[2].

Cependant l’on sait, et l’on savait probablement déjà à l’époque, que l’étymologie d’Ulpien est totalement erronée : s’il y a bien un lien entre ius et iustitia, il est en sens inverse de ce que le plus grand juriste romain affirmait. Suivant cette sorte de règle linguistique qui fait que les mots primordiaux sont toujours les plus courts, ius précéda iustitia dans le vocabulaire romain. Et il ne donna même pas immédiatement iustitia, mais médiatement, par iustus[3].

A notre connaissance, il n’y a pourtant aucune étude qui ait cherché à mesurer, même superficiellement, les profondes implications qu’eut cette inversion étymologique sur la perception même du droit et de la justice, sur leur définition, sur leur articulation. Personne ne semble s’être demandé si les premiers Romains, à l’époque de la rédaction de la loi des Douze Tables, avaient la même conception qu’Ulpien de iustitia et iure. Aldo Schiavone a vu récemment dans la fausse étymologie une astuce pédagogique, un « piège tendu [...] au nom du résultat escompté » fondé sur une tradition d’enseignement usant d’ésotérisme pour transmettre un message, en l’occurrence celui qu’il ne peut y avoir de droit que fondé sur la justice. Il affirme qu’Ulpien souhaitait par les premiers mots de ses Institutes, repris dans les Pandectes, dénoncer le positivisme montant en lui opposant la nécessité de la iustitia, notion jusque-là « d’une rareté absolue dans la langue et dans l’appareil conceptuel des juristes »[4]. Le mot n’était pas pour autant d’apparition récente : il était déjà employé régulièrement par Cicéron, et sa proximité avec ius ne suggère pas une émergence très tardive par rapport à celui-ci.

Il paraît, intuitivement, qu’une telle inversion ne peut pas ne pas avoir de répercussion conceptuelle, et l’explication d’Aldo Schiavone ne nous paraît pas satisfaisante qui ne cherche pas le sens originel de iustitia. Dire que les juristes n’en usaient guère ne suffit pas. Sans cette signification initiale on ne peut pas prétendre savoir ce qu’Ulpien voulait dire et ce qu’impliquait sa manœuvre étymologique.

Néanmoins l’on ne dispose pas de textes donnant une bonne idée du sens du mot iustitia au-delà du Ier siècle avant notre ère : Joseph Hellegouarch, en analysant la signification politique de ce mot, trouve l’essentiel de son information précisément chez Cicéron, dont on peut penser qu’il portait déjà une conception altérée par la pensée grecque[5]. L’étymologie semble donc le seul moyen d’appréhender correctement le sens de ce mot pour une période plus ancienne, en particulier les premiers temps de la République. En outre, l’étymologie étant le témoignage le plus brut possible dans l’histoire des idées, dégagé des vues personnelles et des analyses partisanes puisque fruit de la pratique du langage par une population, il serait dommage de ne pas y prêter attention. A propos des idées politiques à Rome, on se concentre généralement sur les grands auteurs et les aristocrates, en partant du principe que le peuple n’avait pendant longtemps guère d’idées, principalement mû par des considérations ethniques et religieuses, animé de préoccupations trop primitives et trop peu instruit pour défendre des idées politiques théoriques[6]. Pourtant un peuple qui fait sécession trois fois en un siècle pour obtenir des garanties juridiques si pertinentes qu’elles montrèrent une efficacité pluriséculaire face au pouvoir peut-il être considéré comme n’étant pas extrêmement, et intelligemment politisé ? On manque, certes, de témoignages directs de cette époque, de harangues, de débats pour prendre connaissance de ces idées ; ce qui nous est rapporté par la tradition annalistique est trop déformé par les considérations postérieures, en particulier l’opposition entre optimates et populares. Mais l’on a sous les yeux, dans l’histoire romaine, le résultat de ces revendications d’une part, et l’étymologie d’autre part, qui permettent de se faire une idée assez précise des convictions des Romains ordinaires des premiers siècles de la République. D’où les questions que nous nous posons : qu’est-ce que les Romains des débuts républicains entendaient par iustitia ? que révèle l’écart de cette conception avec celle d’Ulpien de l’évolution de la pensée juridico-politique romaine ?

Il nous semble que ne pas rechercher le premier sens, le sens littéral, de iustitia conduit à un contresens : Ulpien ne cherchait probablement pas à critiquer la poussée de positivisme juridique de l’autocratie militaire, mais au contraire à la justifier. Le changement de perception du mot iustitia dénote à Rome un profond changement dans celle de la nature et du rôle du ius.

I. Iustitia : l’état de droit au Ve siècle avant J.-C.[7]

Contrairement à Ulpien les Romains des premiers temps de la République ne faisaient pas de la justice le but du droit. Le grand juriste du IIIe siècle dit que ius vient de iustitia parce que le droit a pour but la justice. Il y aurait là une logique certaine si son étymologie était juste, mais elle est fausse. Il semble sensé de ne pas considérer que les premiers juristes romains utilisaient un mot venant d’un autre pour désigner par le premier le but du second. Cela serait manifestement absurde. La logique linguistique est dans la désignation primordiale du but recherché, de l’idéal, auquel succède la conceptualisation d’un moyen d’atteindre ce but. Peut-on dire alors, en inversant pour coller à l’étymologie réelle, que le droit est le but de la justice ? Cela n’a bien sûr pas plus de sens. Inverser le raisonnement d’Ulpien pour suivre l’inversion étymologique ne suffit donc pas.

On y voit plus clair si l’on regarde l’étymologie complète : ius, iustus, iustitia. Il devient évident qu’il n’y a pas de rapport téléologique d’un terme à l’autre, le ius n’a pas pour but le iustus ; en revanche il l’a pour conséquence : est iustus ce qui est conforme au ius, et la iustitia est l’état dans lequel quelque chose est iustus. Pour les premiers Romains qui en parlèrent il apparaît donc que la iustitia est l’état dans lequel se trouvent les choses à partir du moment où est respecté le ius.

Essayons de retrouver ce qu’était originellement le ius : le droit des hommes, par opposition au droit des dieux, le fas. Parent étymologique de jurare, il porte à l’origine une signification sacramentelle, de capacité à s’engager. Tout récemment Paul Amselek résumait : « les recherches philologiques les plus récentes ont révélé que le jus découle d’une [...] racine indo-iranienne yaus. [...] Il est aujourd’hui très généralement admis [...] que l’indo-iranien yaus [...] exprimait un état d’intégrité optimal ou parfaite normalité – requis par un rituel religieux – à atteindre ou à restaurer par purification. C’est ce qui a inspiré le concept latin de jus [...] originairement, c’est la marge de ce que chacun peut faire en fonction de la place qu’il occupe dans la communauté, le rayon à l’intérieur duquel ses activités et prétentions peuvent légitimement s’épanouir »[8]. Le ius apparaît donc comme la sphère de liberté individuelle. Paul Amselek ajoute : « D’où le sens du verbe jurare : littéralement “prononcer un jus“ (Benveniste, op. cit., p. 118), c’est-à-dire « définir une aire d’action qu’on aura à remplir, généralement au profit d’un autre (Dumézil, op. cit., p. 42) ». Ainsi jurer, c’est à l’origine conclure un accord, établir par serment des obligations réglées, et le ius est, outre une liberté d’action individuelle, une capacité à contracter et par extension l’obligation conventionnelle.

Le ius n’est donc pas à l’origine une règle imposant un comportement donné, ce que suggéra un temps l’étymologie faisant dériver ius de l’idée de « joug », mais bien plutôt un cadre dans lequel l’individu peut évoluer librement, et se lier par des obligations consenties. Ce qui fait sens avec le fait que sous la République l’ensemble des droits du citoyen est qualifié de libertas. Au temps de la rédaction de la loi des Douze Tables, ius prend certes le sens de droit[9], mais encore faut-il s’entendre sur la signification de « droit » : connaissant l’origine étymologique autant que le contexte des réformes politiques, il semble qu’il faille le comprendre comme des règles qui encadrent, et non régentent ; non comme une ligne à suivre scrupuleusement, mais comme un espace dans lequel évoluer librement, dont l’individu considéré ne doit pas franchir les bornes, mais au sein duquel on ne peut pas non plus l’atteindre. La plèbe sécessionniste du Ve siècle réclamait que cet espace de liberté fût défini par écrit afin de n’être plus victime des atteintes du pouvoir.

Une autre étymologie, elle aussi convaincante, est proposée par Robert Jacob, qui voit dans ius le dérivé abstrait du très concret jus, ou sauce, résultant du sacrifice et désignant par extension les règles de commensalité sacrificielle établissant le mode de partage entre les participants au banquet[10]. Le citoyen romain, quiris, étymologiquement co-viris, homme intégré à un groupe dans la commensalité rituelle, étant à l’origine un homme qui a une part au repas sacrificiel, une part qui est le ius. Robert Jacob définit ainsi le ius Quiritium comme « l’ensemble des droits absolus (propriété, liberté, puissance paternelle, manus, hereditas, sans doute aussi tutelle) que chaque quirite détient à l’égard des autres et dont le corps quiritaire, dans son entier, est garant vis-à-vis de chacun »[11]. Si l’origine étymologique est différente, quoique le caractère rituel de la notion indo-iranienne de yaus explique peut-être aussi l’origine du ius latin au sens de « jus, sauce », l’on constate que les deux sens se rejoignent : que ius désigne les droits des individus dans la société par analogie avec les droits au banquet dans le sacrifice primitif, ou avec un état de pureté rituelle donnant accès à une certaine liberté d’action légitime, c’est toujours une sphère de liberté individuelle opposable aux membres du groupe et au groupe lui-même que désigne le mot[12]. Et c’est encore ce sens que retenait Joseph Hellegouarch en faisant du ius la part proprement individuelle de la libertas : « le ius qui est l’aspect positif de la libertas et exprime les “droits” du citoyen » par opposition à la lex et à l’imperium, qui renvoient à une conception plus collective[13].

Comment cette idée de ius comme droit individuel s’articule-t-elle avec iustitia et donne-t-elle la clef de son sens initial ?

Nous avons cherché, en particulier chez Emile Benveniste, des indices de ce sens initial[14]. En vain : Benveniste, qui s’attarde longuement sur ius et dont les conclusions sont aujourd’hui les plus admises, ne s’est intéressé que de façon très incidente à iustitia. Dans son Vocabulaire des institutions indo-européennes il notait : « On mesure [...] un des grands changements survenus dans les langues et dans les institutions des différents peuples indo-européens, quand le droit, dépassant son appareil technique, se constitue en notions morales, quand diké fournit l’adjectif dikaios, quand ius et iustus aboutissent à la notion iustitia ». Et plus loin : « ce procès historique d’évolution de ius à iustitia et de différenciation entre droit et justice, entre iustitia et directum, tient par des attaches obscures, difficiles à saisir, à la manière même dont le droit se présente dans la conscience des peuples anciens »[15]. Pour le linguiste, donc, ius disparaît au profit de iustitia pour la signification morale et directum pour la signification technique, mais demeurent des zones d’ombres. Un chaînon manquant est celui de l’apparition de iustitia et de son premier sens. A-t-il aussitôt revêtu le sens moral sur lequel il se fixerait ensuite ? Cela semble peu probable si l’on considère comme Benveniste que ius est un terme relevant de l’appareil technique du droit, désignant d’abord une « formule de normalité », de même si l’on suit Robert Jacob et l’idée primordiale du ius comme part légitime du quirite au banquet sacrificiel[16]. De plus si l’on regarde le vocabulaire archaïque du droit et de la justice en Grèce, l’on trouve un schéma semblable à celui de Rome. Benveniste écrit : « nous avons à relever le fait que diké désigne, par rapport à thémis, le droit humain opposé au droit divin, et que de la même manière le ius s’oppose à ce que les Latins appellent le fas »[17]. Par la suite, en revanche, on observe une divergence sensible dans l’évolution du vocabulaire puisque diké finit par s’identifier à la vertu de justice « et celui qui a la diké pour lui est dikaios, "juste" »[18] alors qu’à Rome ce sens est dévolu à iustitia. Aussi bien peut-on remarquer que dans le panthéon grec Thémiset Diké sont deux déesses de la justice, cependant que Rome ne divinisera jamais un « Ius » mais aura Iustitia. Ius n’est jamais devenu une notion morale. Mais inversement si diké a fini par désigner la même vertu morale que iustitia[19], alors il paraît raisonnable de penser que, tout comme le mot grec, le mot latin a d’abord eu un sens plus technique. Le cheminement linguistique se complèterait ainsi d’une étape : ius, iustus, iustitia (terme technique), iustitia (vertu morale). Le sens technique serait propre à la culture romaine, les Grecs n’ayant pas son équivalent, et quand Cicéron parle de iustitia comme une vertu, il faut bien considérer une influence déjà forte de la diké grecque. Pour connaître ce sens technique de iustitia, seule l’étymologie peut donc nous éclairer, tout comme pour ius.

Quel serait ce sens plus technique ?

La iustitia, disions-nous, est pour les premiers à employer ce mot, suivant le raisonnement étymologique, l’état de ce qui est iustus. Et est iustus ce qui est conforme au ius[20], c’est-à-dire à l’expression légitime de la liberté individuelle et au droit individuel opposable à la volonté du groupe définis précédemment. Logiquement l’homme agit iuste qui ne sort pas de son ius, l’espace de cette liberté, et n’empiète pas sur celui de ses voisins.La iustitia, initialement, ce devait être la situation générale découlant du respect de la liberté des individus d’une part, et plus largement du respect des conventions librement conclues par les individus d’autre part.

Mais on ne peut, nous semble-t-il, comprendre vraiment les implications de ceci sans mentionner l’acte fondateur du ius scriptum à Rome, la rédaction de la loi des Douze Tables qui « tend à définir la situation du citoyen face à la justice, qu’il s’agisse de procès entre citoyens ou de la répression des crimes de droit commun »[21]. Ce qu’il faut bien appeler, après Michel Humbert, une « codification »[22], entraînait certes la laïcisation du droit, débarrassé des aspects religieux des mystères et initiations, mais surtout instaurait, avec le ius scriptum, un ordre nouveau dans lequel le droit était certain et publié[23]. Ce droit écrit par les hommes, mis sur la place publique, était une revendication de la plèbe qui souffrait de l’arbitraire des magistrats. Face à ce système l’isonomie grecque apparaissait comme un idéal à atteindre[24]. Mais l’isonomie romaine est-elle comparable à l’isonomie grecque ? Michel Meslin nous dit du ius : « le ius [à Rome] a été compris et vécu comme l’aire d’activité et de prétention maximale résultant de la délimitation d’un statut personnel ou collectif. Le ius est donc ce à quoi chacun peut prétendre en fonction de sa situation sociale. C’est-à-dire qu’il est un ensemble de droits et de devoirs, d’attributions et d’obligations, qui appartient à tout homme selon sa place dans la communauté. Certes le ius tient compte de l’ordre du monde défini par le fas [...] Mais le ius délimite en même temps l’aire de prétention légitime de chacun en relation avec cet ordre des choses [...] Il est donc évident que le ius de chacun rencontre inévitablement le ius d’autrui puisqu’il se définit en partie par rapport à celui-ci. Ainsi c’est de la confrontation et de la réglementation de ces multiples iura que va naître le droit »[25]. Si l’on suit ces conclusions, ainsi que la définition que donne Robert Jacob du droit quiritaire, l’isonomie à Rome se définit comme la garantie d’un espace de liberté identique à chaque individu étant citoyen de plein droit ; en revanche on sait que la loi des Douze Tables n’aboutit aucunement à l’égalité des droits politiques entre la plèbe et le patriciat, notamment pour ce qui était de l’accès aux magistratures. Inversement en Grèce, et spécialement à Athènes, l’isonomie fut avant tout une égalité des droits politiques, la recherche de la souveraineté populaire d’un ensemble de citoyens participant également à l’archè qui amena la démocratie que Rome ne connut jamais ; c’est-à-dire que, pour reprendre l’articulation donnée par Joseph Hellegouarch, les Grecs ne connaissaient de la libertas que les deux éléments lex et imperium, qui trouvent à s’exprimer collectivement et se retrouvent dans l’archè, mais point le ius, l’élément proprement individuel, le « droit subjectif » du citoyen romain.

On trouve donc d’un côté une isonomie grecque qui est une égalité de droit des individus dans la participation au pouvoir de la Cité auquel ils sont soumis, et de l’autre une isonomie romaine qui est une affirmation des droits de l’individu face à un pouvoir dont il est par ailleurs plutôt exclu. La loi des Douze Tables, suivant Michel Meslin, montre l’affirmation de la familia par rapport à la gens, et cet auteur note qu’il s’agissait là de « la première victoire d’un certain individualisme social »[26]. Par ailleurs toutes les institutions républicaines fondées au Ve siècle avant J.-C. montrent non une volonté du peuple de participer à un pouvoir puissant, mais de préserver l’individu du pouvoir en le limitant au maximum. Inutile de rappeler ici en détail comment le système des magistratures duales était censé garantir contre la tyrannie. Soulignons cependant que l’intercessio, obtenue avec la création du tribunat et en constituant la principale raison d’être (auxilium tribunicium) allait exactement dans le même sens de protection des individus, de prééminence du ius, contre l’arbitraire. Plus largement, tout le système judiciaire romain se souciait semblablement de minimiser l’intervention du pouvoir dans la vie des citoyens : le préteur, représentant de l’Etat, n’avait jamais à se prononcer sur le fond des litiges. La procédure, séparée en deux instances in iure et apud iudicem laissait aux parties le soin d’élire librement leur arbiter ou iudex chargé de se prononcer sur le fond. Le magistrat officiel, issu du pouvoir, n’était donc pas juge et n’avait d’autre rôle que de diriger la procédure ouverte en qualifiant l’action de la loi[27]. La pratique judiciaire, accusatoire, était aux mains des justiciables. Sous l’Empire, au contraire, la justice devait devenir de plus en plus une émanation de l’État avec l’introduction du iudicium extraordinarium, qui finirait sous Dioclétien par être la procédure normale[28].

De manière encore plus générale au début de la République l’État était pratiquement inexistant comme corps constitué : très peu de fonctionnaires (scribes, licteurs...) au service des magistrats exerçant bénévolement leur charge élective. Il n’y avait en principe pas d’impôts, considérés comme une servitude ; ne fut mise en place qu’une contribution exceptionnelle dédiée aux dépenses de guerre, le tributum[29]. Dans cette configuration d’État minimal, la principale fonction du droit n’était pas de régir les comportements et de modeler la société suivant un projet, que ce fût celui d’une minorité ou d’une forme de volonté générale, mais d’offrir un cadre global dans lequel les individus pouvaient évoluer et contracter librement, soit une fonction très proche de l’origine étymologique du mot ius.

Les principes de l’isonomie, la façon de garantir les droits de l’individu face au pouvoir sont donc différents selon qu’on se place en Grèce, et notamment à Athènes, ou à Rome. Pour les Grecs, en particulier les Athéniens, l’égalité des droits politiques était primordiale - on le voit chez Hérodote pour qui isonomie est un synonyme de démocratie - et conditionnait l’égalité devant la loi en général. Au contraire pour les Romains il apparaît bien, à travers les réformes du Ve siècle et en particulier la rédaction des Douze Tables, que la priorité était la défense du ius, l’aire de liberté individuelle, fût-ce au prix d’un renforcement du régime oligarchique. Une approche pense contrôler le pouvoir en le livrant à tous, l’autre en garantissant chacun contre ses excès par l’affirmation du ius. Si l’on compare le système judiciaire romain du Ve siècle avec celui d’Athènes à la même époque, la différence de conception est frappante : si, à Athènes, les affaires ne sont pas jugées par un magistrat, ce n’est point comme dans l’Urbs un particulier qui est chargé de trancher le fond du litige mais un jury de juges (dikastaï) tirés au sort et censés représenter le peuple souverain, bien souvent en faisant fi du pur droit qui devait s’effacer devant la démocratie[30]. Dans un tel modèle la garantie du droit de l’individu est nulle, livré qu’il est à l’arbitraire d’une forme d’opinion publique[31].

Tout ceci doit certainement être pris en compte dans la recherche du sens initial de iustitia : conformité générale au ius, certes, mais d’un ius qui n’est pas l’équivalent romain de la diké grecque, malgré le parallèle établi par Benveniste entre les deux couples themis/diké et fas/ius. Le contexte institutionnel romain et les conséquences directes de l’apparition du ius scriptum montrent bien un sens de iustitia plus technique et correspondant à l’esprit romain formaliste, respectueux de la règle de droit quand les procès athéniens s’en désintéressaient largement (en particulier du fait de l’ignorance des juges en matière de droit)[32]. Considérant tout cela, le mot iustitia semble revêtir un sens bien particulier et désigner le modèle que la plèbe appelait de ses vœux lors de la rédaction des Douze Tables, l’ordre juridique résultant de la reconnaissance du ius de chaque citoyen : un système dans lequel le droit est publié, donc connu d’avance et, en fournissant aux justiciables la connaissance des règles, la garantie de leur sphère de liberté, leur confère la capacité d’agir sans encourir de poursuites, de condamnations, de peines, ou inversement de pouvoir toujours défendre, par une procédure judiciaire, leur liberté, leur propriété, leurs droits. Établir un modèle dans lequel les honnêtes gens peuvent se positionner par rapport à la règle de droit et dans lequel le ius, étant écrit, les protège au lieu de les menacer par son incertitude, et se substitue à la volonté ou opinion passagère d’un magistrat, telle était la revendication de la plèbe sécessionniste. « Il est clair, résume Michel Humbert, que, dans l’esprit de la plèbe, la rédaction de lois ne pouvait avoir pour objet que de dissiper l’arbitraire et le bon plaisir (libido ac licentia) selon lesquels le magistrat administrait la justice [...] Fixer les droits privés méritant protection, dresser la liste exhaustive (donc contraignante pour les magistrats), des situations ou des actes donnant droit à une action, donc à un jugement, cela revenait à domestiquer la iuris dictio (ou l’imperium) du magistrat, à subordonner ce pouvoir [...] à une règle extérieure, supérieure, intangible et connue »[33]. Ce ius scriptum permet à l’avance de savoir si un comportement est répréhensible ou non, s’il est iustus, c’est-à-dire s’il est conforme au ius, soit l’ensemble des droits reconnus à chaque individu. « C’est ainsi, écrit encore Michel Humbert, que l’isonomia était désirée : une loi égale pour tous, non que l’on fît au droit le reproche d’être substantiellement inique ou inégalitaire, mais parce que, en l’absence de lois écrites, la justice n’était pas également distribuée ou assurée [...] La sanction du vol et celle du meurtre n’ont plus à attendre du pouvoir (suspect) du magistrat leur existence [...] Les dénis de justice et autres formes d’arbitraire dans la formulation et la sanction du droit ne sont plus à craindre »[34].

 Ius, iustus, iustitia. Conformément à la mentalité romaine rigoureusement attachée à la règle de droit, la iustitia paraît être, au premier siècle de la République, la situation produite par un droit certain, connu a priori et respecté.En d’autres termes, c’est le rule of law romain, l’état de droit, la situation dans laquelle tout est conforme (ou simplement non contraire) à une règle préétablie qui supprime l’arbitraire. C’est la légalité, une légalité qui ne régit pas les comportements des individus mais garantit leurs libertés fondamentales, leurs iura. Transposée en français l’étymologie ius, iustus, iustitia donnerait loi (droit), légal, légalité.

Des sens sensiblement différents de ceux donnés par Ulpien : à Rome au Ve siècle avant Jésus-Christ la justice n’était pas la recherche du juste, c’était la situation dans laquelle, étant ce qui est conforme au droit, il est effectif, et le droit n’avait pas pour but la justice, mais garantissait l’exercice de la libertas, c’est-à-dire des droits civils et politiques individuels, en la protégeant contre le bon vouloir des magistrats et contre les atteintes des autres citoyens. D’où la mentalité de la République romaine « formelle et légaliste » suivant le mot d’Albert Camus[35] : le ius n’était pas un outil poursuivant comme but supérieur la justice, il instaurait par nature la justice qui était elle-même le respect de la liberté des individus. Respecter le ius, c’était éviter le retour de l’incertitude juridique et donc de l’arbitraire et de sa servitude. Il n’était guère question, comme à Athènes, de juger selon un simple sentiment ponctuel quant à la diké, comportement très susceptible de léser les légitimes iura des citoyens[36].

Ce sens suggéré par l’étymologie correspond tout à fait, outre la loi des Douze Tables, aux préoccupations générales montrées par les premiers républicains romains quant à l’organisation du pouvoir. Originellement la iustitia romaine n’est pas un principe philosophique mais un ordre juridico-politique fondé sur le primat du ius, règle de droit définissant l’espace de liberté du citoyen. La conception d’Ulpien de la iustitia est bien plus proche, par son caractère moral, de la diké grecque que de ce que le terme signifiait pour les esprits romains au début de la République ; la diké, idéal moral que le droit peut servir à atteindre quand la iustitia romaine est initialement un terme technique, l’ordre instauré par le ius, et spécialement par le ius scriptum.

II. La iustitia selon Ulpien : du règne de la loi à la justice sociale

Il nous semble que la convergence des deux approches, qui éclate dans la sentence d’Ulpien, est lourde de sens en histoire des idées juridico-politiques dans la Rome antique, et témoigne d’un changement important dans la perception du droit, et de son rapport à la puissance publique.

Au départ la République conçoit le ius comme l’aire de prétention légitime de l’individu, et la règle de droit comme un moyen de protéger cette libertas des citoyens romains de l’arbitraire des agents du pouvoir, donc comme une limite à la puissance publique ; sous l’Empire, au contraire, la maxime d’Ulpien témoigne de ce que le droit était désormais considéré comme un moyen d’instaurer, par l’intervention du pouvoir, qu’il s’agît de la loi de l’empereur ou la sentence de ses juges, un ordre conforme à une iustitia ayant convergé avec la diké, notion morale et moins objective. C’est un véritable fossé qui sépare ces deux conceptions du droit et du pouvoir. La première, qu’on pourrait qualifier de « libérale » donnait à voir une méfiance envers la tendance des magistrats à l’abus de pouvoir, qui par ailleurs sous-tend toute la mise en place des institutions républicaines, entièrement conçues comme des barrières à la tyrannie. Il est porté par les mêmes préoccupations que le rule of law établi dans les pays anglo-saxons aux XVIIe-XVIIIe siècles, puis partiellement imité en France à la Révolution, et qui prétendait mettre fin à l’absolutisme monarchique ; lequel était précisément fondé sur les maximes d’Ulpien.

La deuxième est à l’inverse interventionniste, dirigiste, elle fait du pouvoir, soit l’Etat impérial à travers ses juges, le maître d’œuvre de l’ordre social, non le simple garant des libertés individuelles du ius. Elle est sous-tendue par une grande confiance dans le pouvoir régulateur de l’empereur et de ses magistrats, en sa capacité à établir, d’autorité, le règne de la vertu.

Pour les Romains de la jeune République la justice est la situation de sécurité juridique garantissant ce que l’on appellerait aujourd’hui les droits fondamentaux des individus : les droits civils romains (ius conubii, ius commercii, ius legis actionis, ius auxilii) correspondaient globalement aux trois droits fondamentaux de Locke (vie, échange et liberté) ; cet ensemble de droits, contenus dans la notion de libertas étaient à l’instar des modernes droits de l’homme inaliénables : un citoyen romain ne pouvait pas être réduit en esclavage[37]. A cet égard la loi des Douze Tables constitue une sorte de Bill of Rights romain, garantissant le respect et la défense des droits quiritaires par les magistrats de Rome. Par conséquent l’activité du magistrat, et à travers lui de la puissance publique, relève uniquement de la justice commutative, qui cherche à préserver l’équilibre dans les échanges entre des personnes considérées comme égales par le droit.

Pour les juristes impériaux le rôle du juge, et de l’empereur, est de pratiquer la justice distributive en considérant les individus comme inégaux dans les faits et en leur conférant sur cette base des droits différents[38]. C’est ainsi que l’on vit apparaître la distinction, inconnue sous la République, entre honestiores et humiliores, régression totale au regard de la relative isonomie, l’aequatio iuris instaurée à la fin du Ve siècle av. J.-C[39]. Le principe d’indisponibilité de la liberté ne disparut jamais du droit romain, mais la profonde détérioration du statut juridique des humiliores les éloigna considérablement des garanties de la citoyenneté primordiale : le meilleur exemple de cette détérioration est la possible soumission des humiliores à la torture, jadis inapplicable aux citoyens romains et réservée aux esclaves.

Si l’on veut résumer, la confrontation de l’étymologie véritable à celle proposée par Ulpien suggère l’évolution dans la pensée juridique romaine d’une iustitia désignant le primat du ius sur le pouvoir aux premiers temps de la République légaliste, au lendemain de la rédaction de la loi des Douze Tables, vers une iustitia désignant une distribution universelle et ordonnée par le pouvoir au moyen du ius, soit deux conceptions radicalement opposées[40]. On ne peut pas totalement s’en étonner : la iustitia originelle était une revendication de la plèbe dressée contre l’arbitraire des pontifes et des magistrats, exigeant un droit écrit et certain derrière lequel s’abriter alors qu’Ulpien, Papinien et Paul étaient de très hauts magistrats impériaux, dans un régime de plus en plus autoritaire (sous la dynastie des Sévères) qui utilisait de manière habituelle le droit comme instrument de gouvernement. 

Il nous semble que l’opposition que nous avons mise en exergue permet non seulement de manifester un basculement complet dans l’ordre des valeurs juridico-politiques romaines entre la loi des Douze Tables et le IIIe siècle de notre ère mais également de mieux restituer le véritable point de vue d’Ulpien, débarrassé des huit ou neuf siècles de commentaires chrétiens de son propos depuis la redécouverte des compilations de Justinien.

Cela nous amène à cet élément important qu’est la contextualisation du personnage. Remettre un auteur dans son contexte est une étape essentielle de son appréhension, et singulièrement quand il disserte sur une idée aussi subjective que « la justice ». Pourtant, à de très rares exceptions près, on ne l’applique jamais à Ulpien. Son œuvre a été très étudiée et parfois critiquée[41], sa vie décrite au mieux au vu des sources disponibles[42], mais curieusement l’une et l’autre ne sont pas vraiment confrontées, en particulier au sujet des aspects les plus idéologiques, pour essayer d’en déterminer le véritable sens ; lorsque la confrontation est faite, elle ne semble jamais se départir de l’a priori favorable à Ulpien qui biaise alors les différentes études[43]. Ce qui fait que la plupart de ses lecteurs au Digeste, en particulier dans le De iustitia et iure, l’imaginent sans doute vaguement comme un sage éternel, un vieillard vénérable professant avec deux millénaires d’autorité. Or, puisque cette image ne correspond aucunement à la réalité, la mécompréhension de ses propos est immédiate. Spécialement quand ils sont aussi abstraits et idéologiques que ce que l’on trouve au De iustitia et iure. Concevoir Ulpien comme un professeur bienveillant fausse d’emblée la façon dont on reçoit son discours. C’est un effet de halo : il est considéré comme tellement exceptionnel, enveloppé d’une telle aura qu’on lui colle d’office une étiquette de sainteté juridique. Lorsqu’en interprétant ses idées à travers ce prisme, même en ayant par ailleurs connaissance du récit de sa vie, on les voit radicalement opposées à ce qu’était la réalité du pouvoir, l’on met cela sur le compte de son prodigieux courage à tenter de freiner un mouvement qu’il ne voulait pas... au lieu de simplement considérer sa vraie personnalité et de voir qu’en réalité ses convictions étaient totalement dans le sens de la marche autoritariste du pouvoir impérial, ce qui n’est pas étonnant puisqu’il se trouvait en bonne place pour y participer. Replacer Ulpien dans son contexte sans se départir au préalable de l’opinion révérencieuse que les juristes s’en sont faite c’est doubler un premier contresens d’un deuxième et creuser plus encore le fossé entre la réalité du personnage et l’image que l’on s’en fait. C’est un raisonnement en boucle qui ne peut effectivement aboutir qu’à faire toujours plus d’Ulpien un génie.

Qui était donc vraiment Ulpien ? Un très haut magistrat, et sur la fin premier conseiller de l’empereur, soit le deuxième personnage de l’Empire en dignité et quelque chose comme le premier en pouvoir effectif, puisqu’Alexandre Sévère n’avait que quinze ans à la mort du jurisconsulte et était sous son influence. Ceci dans un système politique dictatorial instable, souvent sanglant, dans lequel la compétence ne suffisait pas pour faire carrière, il fallait aussi savoir se placer et louvoyer. Selon Tony Honoré, il fut ainsi partisan de l’idée d’un empereur unique au côté de l’aîné de Septime Sévère, Caracalla, ce qui lui évita le sort funeste de Papinien qui avait pris le parti d’un régime à deux empereurs, et donc de Geta, le cadet malheureux[44]. Ulpien était un homme de pouvoir, sans doute très fortuné, un apparatchik du régime impérial. Il fut impliqué dans les assassinats de ses deux collègues Flavianus et Chrestus qui lui permirent de se trouver seul préfet du prétoire[45]. Il n’y a aucune raison de penser que l’arrivée d’un tel juriste à la tête de la garde prétorienne constituait une démilitarisation de sa direction ; bien au contraire cela souligne une militarisation de la pensée juridique imprégnée de l’idée d’obéissance totale à l’imperator[46], comme en témoignent les célèbres formules d’Ulpien. Là-dessus encore nous ne suivons pas Aldo Schiavone qui dit « nul besoin de surinterpréter le sens de sa mort tragique - assassiné par des prétoriens, sous les yeux du jeune empereur, à la fin de l’été 223 - pour percevoir que son engagement pour une présence « civile » (et respectueuse de la loi) au sommet de l’empire, contre la dérive de la toute-puissance militaire ». Au contraire cela nous semble déjà une surinterprétation fondée sur le présupposé de l’héroïsme juridique d’Ulpien. Le fait qu’il se hisse à la tête du corps d’élite de l’armée montre bien plus la volonté du juriste d’utiliser la force coercitive de l’Etat impérial pour porter un ordre juridique total conforme à sa vision de la iustitia. Le contexte général du pouvoir romain rend cette analyse beaucoup plus vraisemblable que celle faisant du jurisconsulte un chantre du respect du droit arrivé comme par enchantement à la tête d’un pouvoir dont il aurait désapprouvé profondément la nature. Qu’il ait été éliminé par des prétoriens bas du front et hostiles au gouvernement d’un intellectuel ne démontre rien dans ce sens.

Au printemps 223, Ulpien occupait seul (c’est à souligner) cette fonction de préfet du prétoire lors de la répression d’émeutes à Rome au cours de laquelle les prétoriens mirent le feu aux habitations[47]. Sachant tout cela, comment pourrait-on penser que les mots suum cuique tribuere ont dans sa bouche le même sens que dans celle de Cicéron, l’avocat, l’homo novus qui, malgré ses compromissions, porta de vraies convictions républicaines, et périt sous le glaive des fondateurs de la dictature impériale ? Ce serait illogique.

Ayant ce curriculum vitae à l’esprit, il semble aussi que le discours en D 1, 1, 1 § 1 ait un sens beaucoup moins éthéré qu’on ne le comprend sans cela : « C’est à juste titre que certains nous appellent « prêtres » , car nous cultivons la justice et proclamons la connaissance du bon et du juste, en séparant le juste de l’inique, en discernant le licite de l’illicite, en souhaitant rendre bons les individus non seulement par la crainte de peines mais encore en encourageant par des récompenses, et aspirant si je ne me trompe à la vraie philosophie, non à la fausse »[48]. En lisant ces lignes, de deux choses l’une : soit l’on considère le système impérial romain comme quelque chose approchant le régime idéal et l’on est forcément ému par la noblesse de ce discours ; soit l’on se souvient que l’on est au temps de Caracalla et d’Élagabal et que la garde prétorienne était la police politique de l’empereur, et alors le propos prend une tonalité très inquiétante d’autolégitimation du pouvoir impérial, de propagande juridique ; sauf à persister à croire qu’Ulpien (comme Papinien et Paul) était arrivé à son poste par hasard, comme éclatante exception à une cour impériale qui était par ailleurs un panier de crabes et qu’il n’était responsable de rien dans les crimes marquant son ascension. Mais peut-on vraiment croire cela ? Peut-on se dispenser d’envisager que lorsqu’Ulpien, vraisemblablement sous Caracalla, affirme quod principi placuit legis habet vigorem, princeps legibus solutus est, affirmations qui marquent un franchissement des limites traditionnelles du principat dont témoignait encore la lex de imperio de Vespasien[49], ce n’est pas un discours qui flatte le pouvoir en place qu’il prétend servir et qui nourrit sa carrière personnelle vers les plus hauts sommets de l’État ?[50] Peut-on, comme historien, lire ces phrases comme si elles étaient les réflexions purement théoriques et désintéressées d’un auteur tout à fait détaché des préoccupations du siècle, seulement soucieux de comprendre les rouages intemporels de la puissance publique ? Ces phrases lues avec déférence pendant des siècles, perçues comme des phares de raison dans la longue traversée de la reconstruction de l’État étaient à nos yeux, dans le contexte de leur époque, une justification de la tyrannie impériale des Sévères[51], un piétinement décomplexé de l’état de droit[52]. Ces maximes d’Ulpien, Aldo Schiavone les remet dans leur contexte intellectuel, mais ne s’interroge à aucun moment sur de possibles motivations personnelles du juriste : celui-ci bénéficie toujours d’une sorte de présomption de bonne foi[53]. Ce ne serait pas gênant si cela ne conduisait pas à un complet contresens sur sa pensée : ainsi Aldo Schiavone perçoit-il le discours d’Ulpien sur le rôle des juristes dans le gouvernement comme assez semblable, en définitive, aux discours que les auteurs médiévaux et modernes bâtiront en partant de ses fragments : les juristes comme limite de sagesse à l’exercice du pouvoir absolu. Le problème est qu’une telle posture idéologique aurait été à contre-courant de l’évolution réelle du pouvoir. Cela serait admissible si, tout comme ceux qui défendirent des idées semblables aux XVIe-XVIIe siècles, Ulpien avait été un magistrat membre d’une corporation résistant à la montée de l’absolutisme du pouvoir. Mais tout au contraire Ulpien était au premier rang de ceux qui exerçaient ce pouvoir absolutisant. La plupart des auteurs qui trouvent ainsi un courage admirable à Ulpien, pour avoir eu des convictions si opposées au pouvoir qu’il servait, ne semblent pas se rendre compte que, précisément, une telle opposition à la place qu’il avait gagnée est parfaitement improbable et que leur interprétation des propos du juriste est complètement erronée, fondée qu’elle est sur une présupposition du fait qu’Ulpien serait un amoureux du droit contre le pouvoir, alors qu’il voit dans le droit un instrument de pouvoir. Tout comme les plus fanatiques légistes des rois de France, Ulpien était le défenseur théorique du pouvoir qu’il servait et en aucune façon ne lui opposait les objections que portèrent ceux auxquels le mouvement général refusait justement au gouvernement la part qu’ils désiraient, tels les magistrats des cours souveraines. Ulpien ne recommandait pas du tout une limitation des excès du gouvernement par le travail des juristes, il théorisait le gouvernement absolu des juristes, leur capacité et leur légitimité à modeler et remodeler la société par leurs doctrines et en usant de la contrainte du pouvoir. Gouvernement dans lequel il était intéressé au premier chef.

La iustitia d’Ulpien n’est pas, ne peut vraisemblablement pas être ce que nous entendons aujourd’hui par justice, car notre mot est marqué par les multiples usages qu’on a pu en faire : on l’a utilisé pour traduire aussi bien Ulpien qu’Aristote ou la Bible, qui ne parlaient pas exactement de la même chose. Chez Ulpien, le mot iustitia a un sens plus restreint et qui se rapproche de ce que nous appelons aujourd’hui la justice sociale, c’est-à-dire une acception holiste dans laquelle il s’agit de concevoir toute opération de justice comme affectant structurellement l’ensemble de la société. Aldo Schiavone explique que pour Ulpien la iustitia équivaut au bonum et aequum entendu comme équité naturelle, l’aequitas cicéronienne, « principe d’équilibre distributif et propriétaire auquel le ius pouvait et devait se conformer »[54]. Ceci nous permet de souligner au passage qu’avec son aequitas Cicéron manifeste déjà une évolution par rapport à la iustitia originelle, pur respect des droits de chacun (libertas)et non distribution équilibrée. Il est à mi-chemin entre la loi des Douze Tables et Ulpien tant chronologiquement qu’idéologiquement : au temps de Cicéron, note Joseph Hellegouarch, il y a encore une différence entre iustitia et aequitas : « L’aequitas est une position intermédiaire entre la clementia et la iustitia »[55].

En d’autres termes, dans le paradigme d’Ulpien, l’expression suum cuique tribuere n’a plus le sens qu’elle pouvait avoir chez Cicéron. Chez l’avocat républicain il s’agissait encore, dans la tradition du mos majorum de la loi des Douze Tables, de s’assurer de la conformité d’une transaction au ius, et donc du respect des droits de chacune des parties considérées isolément du reste de la communauté.

Mais dans le contexte juridico-politique qui est celui d’Ulpien rendre à chacun le sien implique de s’occuper de tout le monde à la fois, de prendre en compte la totalité des rapports de droit et d’instaurer un ordre juridique total. De sorte que la iustitia d’Ulpien s’apparente au rationalisme constructiviste décrit par Friedrich Hayek, une conception politique selon laquelle les choix publics doivent répondre à la volonté de construire la société suivant un certain modèle. On trouve, dans D 1, 1, 1 § 1, tous les éléments de langage de cette attitude politique : Ulpien fait de lui-même et de ses juristes des « prêtres de la justice », des initiés, des gens sachant mieux que les sujets de l’Etat impérial ce qu’ils doivent faire, des gens capables de « guider » la masse du peuple ; le préfet du prétoire prétend y arriver « non seulement par la crainte de peines mais encore en encourageant par des récompenses » alors qu’à l’origine le droit romain se souciait de faire respecter le droit de chacun, pas de modeler les individus par le bâton et la carotte ; par ces moyens il s’agit de « rendre bons les individus » en les pliant par la contrainte susdite à la « vraie philosophie », vaste projet que l’on retrouve dans le jacobinisme, dans le marxisme-léninisme, dans le fascisme[56]. A ce titre, Aldo Schiavone a une remarque fort juste : « les plus grands spécialistes du droit allaient devenir de très hauts fonctionnaires de l’administration, des intellectuels bureaucrates de type quasi hégélien »[57]. La pensée de Hegel a précisément nourri, dans l’histoire moderne, les grands rationalismes constructivistes du socialisme et du marxisme. D’après Aldo Schiavone, le trait d’Ulpien sur la simulata philosophia était dirigé contre la vision origénienne du « philosophe fuyant le monde », se retranchant à l’écart dans sa recherche de la vérité[58]. Pour Ulpien, au contraire, il faut donc se tenir au pouvoir, comme lui-même, et utiliser la puissance coercitive de l’État pour imposer la philosophie comme une pratique collective, et non individuelle. Les décemvirs rédacteurs de la loi des Douze Tables n’avaient pas de telles prétentions, et voulaient simplement établir un cadre légal sûr dans lequel les citoyens romains pourraient évoluer librement. L’idéologie défendue par Ulpien, sa conception de la justice ne relève pas de l’état de droit, mais de « l’Etat totalitaire »[59] qu’avait tendance à devenir alors le régime impérial, toujours plus militarisé[60], toujours plus spoliateur, toujours plus persécuteur[61]. Un État que définissait de mieux en mieux la formule éminemment collectiviste de l’empereur stoïcien Marc-Aurèle : « Ce qui n’est pas utile à l’essaim n’est pas non plus utile à l’abeille»[62] ; et l’on sait l’influence du stoïcisme sur la pensée d’Ulpien[63]. Si il fut brièvement un quasi-empereur juriste, Marc-Aurèle fut son prédécesseur et alter-ego philosophe, qui synthétisa l’idéal que le Tyrien voulut mettre en œuvre. Comme Ulpien, l’empereur-philosophe bénéficie aujourd’hui d’une certaine aura ; il apparaît comme une sorte d’incarnation de l’idéal platonicien. Michel Villey remarquait précisément que les deux maximes d’Ulpien quod principi placuit et princeps legibus solutus pouvaient « être rattachées à la source platonicienne »[64]. Pour Platon « les lois viennent d’en-haut, elles procèdent du philosophe qui, ne pouvant rester roi, se fait législateur ; dicte autant que possible, une fois pour toutes, des ensembles complets de lois [...] Il est remarquable que Platon, parti de si haut, se trouve échouer, en fin de compte, dans une sorte de positivisme assez grossier [...] La doctrine du droit de Platon [...] est l’ancêtre de mainte doctrine révolutionnaire, utopiste »[65]. Or c’est précisément à ce type de doctrine que nous avons rattaché le vocabulaire employé par Ulpien pour définir la justice. Juridiquement, cette position philosophique collectiviste se traduit par la notion de plus en plus envahissante, et employée régulièrement à partir d’Ulpien, d’utilitas publica, intérêt commun mal défini et en réalité le plus souvent synonyme d’intérêt de l’Etat et de son appareil, justifiant l’écrasement des intérêts privés durant tout le Bas-Empire. L’expression fait alors florès, tout comme celle de ius publicum, le droit public qui s’affranchit de la signification originelle du ius, droit individuel à respecter. « Si elle est connue dès la fin de la République, ce n’est que les juristes de l’époque des Sévères qui commencent à lui faire une place plus importante. Ainsi la terminologie elle-même témoigne des progrès de l’étatisme », constatait Jean Gaudemet[66].

Socialism

Certes, on ne trouvera pas sous la plume d’Ulpien de négation des droits des individus : la iustitia, dit-il, est la constante et perpétuelle volonté de rendre à chacun son ius[67]. Faut-il pour autant voir là une défense du ius dans son sens originel de liberté d’action garantie au citoyen ? Certainement pas. Le contexte juridique, avec l’émergence de la distinction entre honestiores et humiliores, montre bien plutôt que l’isonomie est loin : plus question de reconnaître à tout citoyen d’égales assurances face au pouvoir et devant les autres citoyens, il s’agit désormais pour le pouvoir de décider qui a droit à quoi. Les iura décrits par Michel Meslin découlaient de l’ordre des choses, le fas, et étaient par conséquent des droits préexistants (comme les droits naturels dans leur acception moderne), seulement reconnus par le pouvoir, notamment par la loi des Douze Tables, mais non concédés par lui. Le ius dont parle Ulpien est un droit non seulement reconnu par le pouvoir, mais déterminé par lui. De la même façon que les formules absolutistes du Tyrien sont d’esprit exactement contraire à la volonté des rédacteurs de la loi des Douze Tables, préoccupés de limiter par la loi l’imperium du magistrat, sa définition du ius s’oppose intégralement à la conception des décemvirs. L’inversion des valeurs est totale. En considérant l’histoire de Rome, les trois siècles suivant la rédaction du texte fondateur du droit romain et les trois qui suivirent les enseignements d’Ulpien, on songe à ces mots de Montesquieu : « Ce n’est pas la Fortune qui domine le monde. On peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre »[68].

La dérive constructiviste du principat sous les Sévères, qui annonce le dominat, ne se fit pas contre les sentiments, les idées et la volonté d’un Ulpien témoin impuissant mais avec son concours, avec le service de sa compétence de juriste et l’appui de ses convictions. Les capacités du Tyrien ne furent pas employées à contrer la marche autoritariste et militariste du pouvoir, mais à la canaliser, à la rationaliser, à lui donner tous les instruments idéologiques nécessaires au dépassement du régime établi par Auguste dans lequel le Sénat conservait une part de légitimité politique. La brutalité de Caracalla avait montré ses limites, et les femmes de la famille des Sévères se souvenaient de l’expérience Macrin : un militaire à la préfecture du prétoire était pour le trône une épée de Damoclès. Alors qu’un juriste dévoué au régime, ayant déjà fait montre de ses aptitudes à formuler des slogans juridiques absolutistes, pouvait endormir la méfiance de sénateurs échaudés par le militarisme sévérien et désarmer les résistances idéologiques à la progression du pouvoir impérial. Le régime défendu par Ulpien n’était pas moins une tyrannie que celui de Caracalla, mais autant voire plus dangereux car une tyrannie habile, rampante, insidieuse. Contrairement à ce que conclut Aldo Schiavone, Ulpien n’oppose pas la iustitia à un ius positif pur instrument de gouvernement, il ordonne le ius jadis défenseur des intérêts individuels à une iustitia comme projet d’organisation sociale, il en fait un instrument de gouvernement. Son inversion étymologique n’est pas juste un artifice de pédagogue, c’est une profonde inversion de valeurs par rapport au droit romain originel qui place désormais une vision totale de la société comme principe de toute régulation juridique. Ses maximes absolutistes constituent pour ainsi dire un assassinat idéologique du Sénat. Si Auguste a tué la République, Ulpien l’enterre en synthétisant l’idéologie étatiste impériale qui trouvera son aboutissement avec Dioclétien ; aussi bien n’est-ce pas un hasard si le mot de iustitia devient de plus en plus employé dans les rescrits à partir du règne de ce dernier[69], puisque ce sont ses réformes qui donnent toute réalité aux théories politiques absolutistes du Tyrien et transforment définitivement l’Empire en régime de « bureaucrates, de fonctionnaires et de mandarins »[70]. Quand Claude Nicolet note « le droit romain « classique » est, historiquement, un droit tardif [...] et paradoxalement élaboré lorsque l’Empire s’est définitivement mué en monarchie bureaucratique et assez despotique »[71], nous devons au contraire relever qu’il n’y a pas de paradoxe mais un lien tout à fait logique : produire un droit s’occupant dans le détail de tous les aspects de la vie en société sans plus laisser de place à l’initiative juridique des individus, soit les libres conventions, est précisément le comportement d’un pouvoir despotique, d’un Etat prétendant régenter tout et tout le monde. Aussi bien ce gouvernement total et universel était-il probablement le vrai but de l’extension de la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire : « désormais, sous l’empereur, « tout est peuple » »[72]. Par cet acte le princeps (devenu dominus) se rendait légalement maître de tout individu « libre » du monde romain en établissant entre lui et eux un lien juridique direct[73]. S’agit-il pour autant de nier tout universalisme à la tête de l’État romain ? Sans doute pas, mais « universalisme » n’est pas univoque : il peut certes s’agir de considérer que tous les hommes sont semblables par nature et méritent les mêmes droits, mais aussi d’estimer que la nature semblable de tous les hommes exige un régime unique. Dans les deux cas il s’agit bien d’universalisme, mais celui de l’Etat impérial romain était bien plus certainement le second que le premier, en accord avec la nature du pouvoir autoritaire de l’empereur. Selon Tony Honoré, Ulpien fut l’un des inspirateurs de l’édit de Caracalla[74]. L’auteur met ceci en lien avec les idées stoïciennes du jurisconsulte quant à la liberté et l’égalité naturelle des hommes dont l’extension de la citoyenneté serait la traduction politique. Et à ce sujet Tony Honoré mentionne un paradoxe du même genre que celui soulevé par Claude Nicolet, à savoir « que les commentaires juridiques de l’écrivain, destinés à exposer à ce monde cosmopolite le droit romain comme système rationnel et conforme à la nature, soient inspirés par un souverain qui, entre autres crimes, a tué son frère et massacré les Alexandrins ». Mais il s’agit d’un paradoxe artificiel, résultat d’un contresens sur la personnalité d’Ulpien qui rompt le lien logique existant entre sa pensée et son contexte d’action. Caracalla n’était plus là depuis quelques années quand l’assassinat opportun des deux prédécesseurs d’Ulpien à la préfecture du prétoire lui ouvrit la voie vers les plus hautes fonctions, puis lors de la répression du trinoctium. Qu’Ulpien ait été un inspirateur de l’édit de 212 ou qu’il en ait été simplement un partisan enthousiaste, cela est fort compréhensible après ce que nous avons dit : la citoyenneté universelle donnait au pouvoir impérial auquel il participait une capacité inédite de remodelage juridique de la société dans l’ensemble du monde romain. Les idées que le jurisconsulte se faisait de la nature humaine et de l’ordre social pourraient désormais être appliquées à la totalité de la population de l’Empire. Les travaux de Tony Honoré ont certes montré les nombreux germes d’une pensée des « droits de l’Homme » que l’on peut trouver chez Ulpien, et il ne s’agit pas pour nous d’en nier l’existence, mais d’en discuter l’interprétation. En effet la démonstration de ces éléments ne suffit pas pour faire du jurisconsulte un « pionnier des droits de l’Homme », car cette expression revêt un sens avantageux qui ne rend pas compte de la personnalité et de l’œuvre d’Ulpien. Nombreux sont dans l’Histoire les individus qui ont posé les pires actes de tyrannie au nom des droits de l’Homme ; Robespierre, qui participa à l’élaboration de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, lui aussi juriste, n’en bafoua pas moins tous les généreux principes en prétendant, en toute sincérité, en poursuivre la réalisation. Certes on trouve de belles intentions chez Ulpien, mais quels furent les résultats de sa doctrine, adoptée dans la durée par le pouvoir impérial comme en atteste sa place dans la loi des citations de 426[75], deux siècles après la mort du jurisconsulte, puis sa prédominance au Digeste ? Certainement pas une amélioration générale de la condition du sujet de droit ; bien plutôt un nivellement par le bas pour tous ceux qui ne faisaient pas partie de la nomenklatura impériale des honestiores. Le colonat et l’attachement des ouvriers aux manufactures impériales représentèrent non une amélioration de la condition d’esclave, dont il paraît qu’Ulpien se souciait de la dignité humaine, mais une détérioration de celle d’homme libre. Marcel Morabito a daté la crise de l’esclavage dans l’Empire au tournant du IIIe siècle ap. J.-C. : il note qu’à ce moment la jurisprudence romaine du Digeste relative à cette matière « diminue nettement d’intensité »[76]. Guère étonnant si l’on songe qu’avec l’accroissement de la fiscalité, la multiplication des corvées et la dégradation du statut juridique du citoyen romain, c’est l’essentiel de la population du monde romain qui tombait progressivement dans la servitude. Il faut constater enfin que l’empereur Justinien, le commanditaire des grandes compilations de droit romain, qui font une telle place à Ulpien, fut aussi l’auteur d’une des pires répressions politiques de toute l’histoire romaine : selon Procope, ce sont plus de trente mille individus qui furent massacrés pour mettre fin à la sédition Nika[77], soit trois à quatre fois plus que le carnage de Thessalonique de 390. Et Thessalonique était une ville de province, quand Constantinople était la propre capitale de Justinien : remarquable continuité tant avec la pensée d’Ulpien qu’avec sa pratique de gouvernement lors du trinoctium.

On pourra bien sûr, pour tenter de sauver la doctrine du jurisconsulte du naufrage du régime impérial, dire qu’Ulpien ne voulait pas cela. L’argument ne nous semble pas convaincant, d’une part à cause de ce que nous savons de sa carrière et de ses menées personnelles, d’autre part parce qu’une théorie ne saurait être préservée de ses conséquences pratiques au motif qu’on croit trouver, ou que l’on trouve effectivement, de la noblesse dans les motivations qui ont présidé à son élaboration. Le souhait d’Ulpien n’était probablement pas la servitude généralisée du monde romain, mais le fait est que l’idéologie qu’il a défendue n’a pas abouti à autre chose, à l’instar de toutes les autres idéologies constructivistes qui lui ont fait écho dans l’Histoire : Robespierre n’avait certes pas pour but de massacrer quelques dizaines de milliers de français, mais d’instaurer le règne de la vertu. De même le jurisconsulte espérait affranchir l’humanité par le truchement d’un pouvoir absolu exercé sur la totalité de la société qui rendrait à chacun le sien, mais le système qu’il a porté et théorisé n’a conduit qu’à spolier et décourager toute la population de l’Empire qui finit par préférer des princes étrangers, barbares en Occident, arabes en Orient, à l’étouffante administration impériale.

Tony Honoré dit de l’époque d’Ulpien : « Quoique les droits de l’homme n’existassent qu’en germe, un observateur intelligent aurait alors pu prévoir leur floraison éventuelle »[78]. C’est écarter ce fait historique que chaque fois qu’un individu a, comme Ulpien, à la fois théorisé le pouvoir absolu et un projet social global, cela a conduit à un échec cuisant et aux conséquences humaines souvent désastreuses, si pures que fussent les intentions de départ. Les Romains des premiers siècles de la République, avec leur droit rudimentaire et formaliste et leur appareil étatique atrophié étaient beaucoup plus proches du modèle d’état de droit voulu par John Locke que ne l’a jamais été Ulpien. 

Pour faire de propos qui étaient principalement un effort de justification idéologique d’un pouvoir né dans la négation du ius et de la iustitia (au sens où l’entendaient les premiers Romains de la République) un trésor de sagesse et une source de paix et de protection contre l’arbitraire, il fallut de la part des commentateurs du Moyen Age toutes les bonnes intentions chrétiennes, tous les préjugés et tout l’aveuglement dont ils firent effectivement montre.

III. La déformation médiévale et moderne de la pensée d’Ulpien : le prisme du christianisme

Ulpien a eu la chance, à partir du XIIe siècle, de bénéficier du regard fasciné de lecteurs assez largement ignorants de sa carrière et pour lesquels le souvenir de l’Empire était celui d’un âge d’or. Pris ainsi hors contexte et avec un a priori favorable, les hommes qui redécouvrirent le corpus iuris civilis trouvèrent dans Ulpien ce qu’en fait ils espéraient y trouver : une formidable machine de paix. Réinventant le suum cuique tribuere ils lui donnèrent, en élaborant ce que Diego Quaglioni a appelé la « conception pré-moderne de la justice »[79], le sens dans lequel l’entendait Cicéron, bien plus qu’Ulpien.

Ulpien a bénéficié du fait que les hommes du XIIe siècle – et après – avaient déjà leur propre conception de la justice, et ne recherchèrent donc pas ce que lui-même entendait par là : ils appliquèrent la conception chrétienne, centrée sur la figure du Christ et l’eschatologie lui étant attachée, le Jugement dernier devant établir définitivement le règne de la justice. Mais ce jugement divin des fins dernières chrétiennes, précisément, réservait à Dieu seul l’organisation de la société, la rétribution individuelle de chacun. La justice humaine devait être limitée à résoudre des litiges de manière pacifique, suivant les principes animant la justice divine. C’est avec ce logiciel de pensée que les nouveaux lecteurs d’Ulpien au Moyen Âge prirent connaissance de l’œuvre du haut fonctionnaire romain. Pour ces hommes, forcément, sacerdotes iustitiae n’avait pas le même sens que chez le préfet du prétoire, mais renvoyait à la conception chrétienne du prêtre, médiateur à l’image du Christ. Ce modèle moral évangélique donnait pour les juristes médiévaux une signification toute différente. En outre ce droit qu’appréhendaient ceux qui se penchaient sur les compilations justiniennes n’avait pas l’aspect d’un commandement du pouvoir, mais d’un commandement de la raison : une somme de sagesse pluriséculaire qui s’imposait « imperio rationis, non ratione imperii ». La vision même de la norme n’était donc pas la même dans l’œil du lecteur et sous la plume d’Ulpien.

Les commentateurs du Digeste ont reconstruit un Ulpien conforme à une conception de la justice qu’ils possédaient a priori et qui ne correspondait pas aux idées de l’auteur antique. C’est l’image qui vient aujourd’hui naturellement au lecteur impressionné par le monument juridique du corpus iuris civilis du haut duquel quinze siècles le contemplent. Cette image est faussée, de la même manière que celle d’Ulpien sur la iustitia originelle, qui était l’aspiration à l’état de droit fondant le modèle républicain romain, idéal auquel le régime servi par celui qui reste aujourd’hui comme l’un des plus grands juristes de Rome tourna le dos dès son avènement quand Octave, autre grand rescapé du procès de l’Histoire, laissa couper la tête et les mains de Cicéron. Lorsque celui-ci parlait d’iniustitia dans son De officiis, il lui donnait encore un sens proche de l’original : l’illégalité, la rupture du droit garant de la libertas, conformément à l’actualité politique de son temps, et non l’atteinte à une règle morale supérieure[80].

Cessons donc de croire que ce que dit l’auteur le plus cité au Digeste est la façon dont à Rome on définissait le droit, il ne représente que ce que le régime impérial romain du IIIe siècle voulait que le droit fût, c’est-à-dire un instrument de sa domination absolue de la société par réglementation croissante des rapports sociaux, laissant toujours moins de place aux libres conventions fondées sur la rencontre de droits individuels. Le discours d’Ulpien qui ouvre le De iustitia et iure est la négation complète des principes légalistes à l’origine de la loi des Douze Tables qui limitait le pouvoir par le droit. Sa vertu fut dans les yeux de ses bienveillants commentateurs médiévaux et modernes. Il ne doit sa lumineuse postérité qu’à ce qui est probablement la plus spectaculaire méprise, le plus colossal contresens de l’histoire des idées juridiques et politiques. En prendre conscience, ce n’est pas seulement descendre Ulpien de son piédestal, c’est aussi souligner un peu plus le génie propre des juristes du Moyen Age et des temps modernes.

Mais c’est également aborder la question de la nuisance que constitue, pour la pensée juridico-politique romano-germanique, l’héritage d’Ulpien. Car en faisant d’Ulpien un personnage éminemment respectable par une interprétation erronée de certaines de ses affirmations, l’on s’est condamné à les utiliser comme fondement de nouveaux systèmes juridiques, et à les voir reproduire leurs effets.

Dans les deux tomes de L’État de justice en France, XIIIe-XXe siècle, Jacques Krynen a abondamment analysé, dans la longue durée, la mentalité de la magistrature en France[81]. Il a montré combien l’idée de sacerdotes iustitiae, reprise d’Ulpien, a marqué la perception que les juges ont de leur fonction, tout comme l’idée du Romain du rapport entre droit et justice. Il a montré la profonde continuité qu’il y a entre « l’idéologie de la magistrature ancienne » et les convictions qui motivent « l’emprise contemporaine des juges ». Si nos magistrats actuels n’emploient plus la formule « prêtres de la justice », ils sont toujours largement persuadés de cultiver la justice, de proclamer la connaissance du bon et du juste. Plus encore, et un récent scandale impliquant le Syndicat de la magistrature l’a montré, nos juges se sentent pénétrés de la vraie philosophie, par opposition à ceux qui portent d’autres idées et se trouvent alors dénoncés sous des qualificatifs qu’on ne trouvait pas sous la plume d’Ulpien. Or il nous semble que ceci ne peut pas ne pas être mis en lien avec le fait que toute la culture judiciaire française s’est bâtie sur le legs des textes romains, qui étaient ceux d’un régime dans lequel le droit était totalitaire. Notre magistrature, aujourd’hui, est construite sur le modèle de la magistrature impériale, dans laquelle le juge est un agent de l’État chargé de trancher le litige, et qui a le justiciable dans sa main. Alors qu’originellement, à Rome, le juge étatique n’avait pas à se prononcer dans une affaire privée, et ne servait, nous l’avons rappelé, que de directeur de procédure.

Or un tel modèle existe toujours actuellement, c’est celui du juge dans le système américain : aux États-Unis, le rôle du juge est sévèrement encadré par deux pratiques : le jury populaire, sur le principe du jugement par les pairs, et la transaction, principe de compromis entre des justiciables toujours libres de régler entre eux leurs litiges privés. Tous mécanismes initialement présents à Rome, et que l’État impérial supprima pour tout ramener sous sa domination exclusive. Et de même qu’il n’est jamais venu à l’idée du préteur romain de la République de se prétendre « prêtre de la justice », de même les juges américains (souvent élus, eux aussi) n’ont aucunement la même mentalité que notre magistrature, héritière de la pensée d’Ulpien, donc construite suivant des principes totalitaires et imprégnée de la certitude qu’il lui revient d’organiser, ou réorganiser, la société. Ce qui est complètement contradictoire avec le respect de droits individuels certains et inaliénables.

Partant, l’on peut suggérer une nouvelle explication à cette vieille énigme historique d’un libéralisme vraiment réalisé uniquement dans les pays Anglo-Saxons, en particulier aux Etats-Unis, et guère sur le continent européen. On a proposé à ce sujet beaucoup d’éléments : tempérament latin contre tempérament nordique, culture catholique contre culture protestante. Il nous semble plutôt que tout cela s’explique par la culture juridique, ce qui serait logique puisque le libéralisme est avant tout une conception du Droit : en Europe continentale ce que l’on appelle le système juridique romano-germanique s’est érigé sur la base conceptuelle des textes romains qui étaient le droit d’un État à tendance totalitaire n’admettant pas que lui soient opposés des droits individuels inaliénables, tandis que les Anglo-Saxons ont bâti leur système juridique en dehors de l’influence idéologique d’Ulpien. En résumé nous sommes, en France, attachés au legs final d’un droit romain devenu totalitaire alors que les Anglo-Saxons, en particulier les Américains, en ont retrouvé l’essence originelle : le rule of law, l’état de droit.

Le grand drame de cette évolution est que les juristes médiévaux qui redécouvrirent Ulpien ont été largement dupés : ils ont sincèrement cru qu’ils avaient sous leurs yeux la voie de la justice et ont fait entrer profondément dans leur culture juridique les principes d’un gouvernement qui était tout le contraire. Un peu comme si dans deux mille ans une civilisation entière fondait son système juridique sur la Constitution de l’URSS en étant convaincue, en se fondant sur quelques formules ouvertes à l’interprétation, qu’elle la mènerait nécessairement au bon et au juste[82]. Malgré la mesure apportée par l’esprit chrétien qui prédomina longtemps et le gros travail d’adaptation conduit par de nombreuses générations de commentateurs, la pensée du plus officiel juriste romain continue de produire des effets néfastes.

Il est plus que temps d’en dénoncer la nature, qui transparaît particulièrement dans ces mots d’ouverture des Institutes d’Ulpien : « nomen iuris est autem a iustitia appelatur ». Aldo Schiavone, disions-nous en commençant, y voit « un piège tendu [...] au nom du résultat escompté ». Cela définit aussi bien le régime impérial défendu par le jurisconsulte. On aurait tort de faire trop confiance à un professeur de droit, fût-il le plus le plus repris au Digeste, dont l’enseignement commence par, et la pensée se fonde sur, au mieux une profonde erreur, au pire un funeste mensonge.



[1] Ulpien se réfère certes à Celsus pour ce qui est de la formule « ius est ars boni et aequi », mais ce n’est point de celle-ci qu’il sera question dans notre travail.

[2] Si Papinien reste le « prince des jurisconsultes », reconnu comme le plus grand juriste classique, Ulpien, par sa place prépondérance au Digeste et surtout son rôle central pour ce qui est des fragments les plus idéologiques, sur le droit et sur le pouvoir, est sans doute celui qui a le plus influencé la pensée juridique depuis la redécouverte des compilations justiniennes.

[3] Oscar BLOCH et Walther von Wartburg (dir.), « Justice », Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF, coll. « Quadrige. Dicos poche », Paris, 2008, p. 354.

[4] Aldo Schiavone, (trad. Geneviève et Jean Bouffartigue, préf. Aldo Schiavone), Ius : L'invention du droit en Occident [« Ius. L'invenzione del diritto in Occidente »], Paris, 2008, p. 431-433.

[5] Joseph Hellegouarch, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, 1972, p. 265-267.

[6] Voir Claude Nicolet, Les idées politiques à Rome sous la République¸ Paris, 1964. En particulier p. 37, où il juge les luttes - et donc les idées - des Romains du premier siècle de la République « moins politiques que religieuses et ethniques ».

[7] Nous écrivons « état de droit » et non « Etat de droit » car nous voulons évoquer le modèle du Rule of Law tel qu’il découle des écrits de Locke et des penseurs libéraux, présentant le gouvernement de la loi comme garantie de la liberté et de l’isonomie, et non le Rechtsstaat kelsénien dans lequel le pouvoir de l’Etat est censé être limité par la hiérarchie des normes, conception positiviste qui fait de l’Etat, non de l’individu, l’entité de référence.

[8] Paul Amselek, Cheminements philosophiques dans le monde du droit et des règles en général, Paris, 2012 p. 227-228. Il cite en référence les travaux d’Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, tome II, Paris, 1969, p. 111s. ; Georges Dumézil, Idées romaines, Paris, 1969, p. 41s. : Michel Meslin, L’homme romain, Des origines au Ier siècle de notre ère, Paris, 1978, p. 22s. On peut ajouter André Magdelain, « Le ius archaïque », Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 98, N°1. 1986. p. 265-358, en particulier p. 306-313 ; également Alfred Ernout et Antoine Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4eme édition, Paris, 2001, p. 329-330 et Alois Walde, Johann Baptist Hofmann, Lateinisches etymologisches Wörtenbuch I, Heidelberg, 1938, p. 734.

[9] André Magdelain, « Le ius archaïque », art. cit., p. 313.

[10] Robert Jacob, « Jus ou la cuisine romaine de la norme », Droit et Cultures, 48, 2004/2, p. 11-62.

[11] Ibid., p. 34.

[12] Notons au passage que Michel Villey affirmait, peut-être à tort, l’absence totale de droits subjectifs dans l’Antiquité Cf. Le droit et les droits de l’homme, Paris, 1983, rééd. 2008 p. 69-79. Comme le montre la formule de Robert Jacob, le ius quiritium est précisément une liste de droits subjectifs garantis au citoyen romain. Mais Michel Villey ne voyait de science juridique romaine que dans le droit romain classique, soit essentiellement sous l’Empire quand précisément la loi positive émanant de l’Etat tendait à ignorer les droits des individus au profit du dirigisme social. « Une définition rigoureuse du droit a peu de chances de se rencontrer au temps des XII Tables [...] Quant au Bas-Empire orientalisé, pénétré d’influence chrétienne, il vit sa dégénérescence. C’est seulement à l’époque classique, et à la condition de choisir les ouvrages dotés de la plus haute puissance créatrice, qu’on ressaisira l’idée du droit ». Position regrettable puisqu’elle enchaînait l’auteur aux témoignages d’Ulpien et Paul chez qui avait disparu l’esprit primordial du droit romain. Ibid. p. 30.

[13] Joseph Hellegouarch, Le vocabulaire... op. cit., p. 546.

[14] Le Dictionnaire étymologique de la langue latine n’a pas d’entrée iustitia, ni n’en parle comme dérivé de ius. De même pour Lateinisches etymologisches Wörtenbuch.

[15] Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, op. cit., p. 131-132.

[16] Ibid. p. 114.

[17] Ibid., p. 111.

[18] Ibid., p. 110.

[19] La déesse romaine Iustitia correspond justement à la Dikégrecque, et non à Thémis. Cf. Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, 14eme édition, Paris, 1999, p. 245.

[20] André Magdelain, « Le ius archaïque », art. cit., p. 313.

[21] Ibid. p. 332.

[22] Michel Humbert, « Les XII Tables, une codification ? », Droits, 27, 1998, p. 87-111.

[23] Et instaurait pour faire valoir le droit de chacun les « actions de la loi ». Voir Pierre Noailles, Du droit sacré au droit civil, Paris, 1949, spécialement p. 49-51.

[24] Aldo Schiavone, Ius : L'invention du droit..., op. cit., p. 105-110.

[25] Michel Meslin, L’homme romain, op. cit., p. 23.

[26] Ibid., p. 18.

[27] Voir notamment Paul-Frédéric Girard, Manuel élémentaire de droit romain¸3eme édition, Paris, 1901, p. 958-1036 et Jean Gaudemet, Histoire des Institutions de l’Antiquité, 5eme édition, Paris, 1998 p. 238-250.

[28] Paul-Frédéric Girard, Manuel élémentaire de droit romain, p. 1052-1064.

[29] Cf. Claude Nicolet, Tributum, Paris, 1976. Sur la quasi-absence d’appareil d’Etat sous la République, voir du même Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, 1976, p. 435-446.

[30] Cf. Harvey Yunis, « The Rhetoric of Law in Fourth-Century Athens », The Cambridge Companion to Ancient Greek Law, Michael Gagarin et David Cohen (dir.), Cambridge, 2005 p. 191-208 et Adriaan Lanni, Law and Justice in the Courts of Classical Athens, Cambridge, 2006.

[31] On peut voir à ce sujet Drieu Godefridi, « Arbitraire et droit dans l’Athènes antique », Folia Electronica Classica, t. 19, 1, janvier-juin 2010, consultable en ligne à http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/19/athenes.pdf . L’auteur note p. 7 : « Cette préséance de la démocratie sur le droit se montre dans cet autre grand lieu d’expression de la souveraineté populaire qu’est le tribunal des héliastes. Il s’agit de saisir l’atmosphère du procès athénien. L’insistance sur le fait et les arguments ad hominem ne vient pas seulement s’ajouter aux développements juridiques, comme un surcroît d’argument, elle constitue la plupart du temps l’essentiel du procès ; ce dont atteste la centaine de plaidoiries qui sont l’essentiel de notre accès au procès et au droit athéniens ».

[32] Adriaan Lanni, Law and Justice, op. cit., p. 38 : « there was no obligation to explain the relevant laws, and in fact some speeches do not cite any laws at all ».

[33] Michel Humbert, « Les XII Tables, ... », art. cit., p. 105-106.

[34] Ibid., p. 106-110.

[35] Albert Camus, L’Homme révolté, Paris, 1951, p. 155.

[36] Drieu Godefridi remarque dans l’œuvre de Lysias, Contre Simon « le cas de ce plaideur âgé, dans une affaire de coups et blessures entre rivaux amoureux, qui avait clairement la loi pour lui, mais qui dut faire amende honorable devant le jury parce qu’il savait son comportement ridicule et odieux au commun des mortels ». Drieu Godefridi « Arbitraire et droit... », art. cit., p. 8 note 42.

[37] On se souvient que le fils de famille pouvait être placé par le chef de famille in mancipio mais ne perdait pas pour autant sa citoyenneté et pouvait toujours demander son affranchissement contre cens. Cf. Edouard Cuq, Manuel des institutions juridiques des Romains, Seconde édition, Paris, 1928, p. 83-85. Voir aussi Yan Thomas, « L’indisponibilité de la liberté en droit romain », Hypothèses, Revue de l’Ecole Doctorale de Paris I, 2006-1, p. 379-390.

[38] Cette conception distributive est spécialement présente chez Ulpien. Voir Mario Pani, « La giustizia distributiva da Simonide a Ulpiano », Studi in onore de Luigi Labruna, vol. 6, Naples, 2007, p. 3953-3968.

[39] Cf. Guillaume Cardascia, « L’apparition dans le droit des classes d’honestiores et d’humiliores », Revue historique de droit français et étranger (RHDFE), XXVIII, 1950, p. 305-337 et 461-485.

[40] Ce qui rejoint Giuliano Crifo, « Da pax a iustitia. Considerazioni sulla funzione del diritto », Carmina Iuris, Mélanges M. Humbert, Paris, 2012, p. 207-225 où l’auteur montrait qu’ayant eu d’abord pour but la garantie de la pax par un règlement pacifique des litiges, le droit devint sous l’Empire un instrument d’instauration de la iustitia, notion morale marquée par la pensée grecque.

[41] Jean Gaudemet résume « auteur fécond plus que juriste très pénétrant, esprit clair, grand rassembleur d’opinions de ses prédécesseurs ». Jean Gaudemet, « Ulpien, Domitius Ulpianus dit (mort en 223) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 10 juin 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/domitius-ulpianus-ulpien/

[42] Sur la vie d’Ulpien et son rôle dans le système impérial Joseph Modrzejewski & Tadeusz Zawadzki, « La date de la mort d'Ulpienet la préfecture du prétoire au début du règne d'Alexandre Sévère », RHDFE, 45, 1967, p. 565-611 ; article essentiel mais qui ne s’intéresse pas aux implications du contexte sur le sens de l’œuvre du juriste.

[43] Les plus importantes en volume sont celles de Bernardo Santalucia, I « Libri Opinionum » di Ulpiano, Milan, 1971, 2 vol., Giuliano Crifo, Ulpiano. esperienze e responsabilità del giurista, Aufstieg und Niedergang der roemischen Welt, II, 15, Berlin-New York, 1976 qui, constituant une synthèse de l’opinion commune de l’historiographie sur le personnage, livre pratiquement un panégyrique d’Ulpien, homme d’Etat presque miraculeux au milieu d’une époque agitée, et Tony Honoré, Ulpian Pioneer of Human Rights, 2005, 2e éd. Comme articles de référence on trouve Dieter Nörr, « Iurisperitus sacerdos », Xenion. Festschrift für Pan. J. Zepos, I, Athènes, 1973, 555-572 et Martin Schermaier, « Ulpian als „wahrer Philosoph“. Notizen zum Selbstverständnis eines römischen Juristen», Ars boni et aequi. Festschrift für Wolfgang Waldstein zum 65. Geburtstag. Stuttgart 1993, S. 303-322 ; Aldo Schiavone, « Giuristi e principe nelle istituzioni di Ulpiano. Un’esegesi », Studia et documenta historiae et iuris, 69, 2003, p. 3-56.Notons aussi Fergus Millar, « Government and Law : Ulpian, a Philosopher in Politics ? », Philosophy and Power in the Graeco-Roman World : Essays in honor of Miriam Griffin, Gillian Clark et Tessa Rajak (dir.), Oxford, 2002, p. 69-87 qui, s’interrogeant sur la question de savoir si Ulpien mérite d’être qualifié de philosophe, rappelle son parcours en passant sous silence les émeutes et les assassinats et conclut : « Ulpian [...] whose scholarly writing and public career were pursued in difficult and dangerous times, deservers to take his place along with Seneca, and in some senses even with Cicero and Tacitus ». Sans contester le jugement sur l’importance de la pensée du juriste, qui est sans doute extrême, il faut noter qu’encore une fois les « dangerous times » sont présentés comme une épreuve qu’aurait traversée Ulpien, et aucunement envisagés comme un mouvement dans lequel il eut sa propre part active. Dans un autre style de discours, nous songeons également à Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, op. cit., qui lit les phrases d’Ulpien au De iustitia et iure en ne pensant qu’à Aristote et se dispense totalement, alors qu’il consacre un chapitre de son ouvrage à chercher ce qu’est le « droit » dans la tradition juridique romaine, de s’interroger sur la personnalité de celui dont il fait sa référence.

[44] Cf. Tony Honoré, Ulpian, Pioneer..., op. cit., p. 3, 22 et 35.

[45] Joseph Modrzejewski & Tadeusz Zawadzki, « La date de la mort d'Ulpien... », art. cit.,. p. 586. Les auteurs considèrent comme « points secondaires » (p. 590) la mesure exacte de la responsabilité d’Ulpien dans l’assassinat de ses collègues. Le sujet de recherche ne semble pas avoir fait l’objet de tentative d’exploitation depuis.

[46] Aldo Schiavone, Ius : l’invention du droit..., op. cit. p. 531, note 10.

[47] Joseph Modrzejewski & Tadeusz Zawadzki, « La date de la mort d'Ulpien... », art. cit.,.. p. 569 et 608. Sur ce trinoctium voir aussi Hélène Ménard, Maintenir l’ordre à Rome, IIe-IVe siècles ap. J.-C., Paris, 2004, p. 73-75. Cette dernière cite Dion Cassius, LXXX, 2, 4 : « Mais de son vivant, une grave émeute surgit entre le peuple et les prétoriens, pour un motif anodin, avec pour résultat qu’ils se battirent entre eux pendant trois jours et beaucoup furent tués des deux côtés. Les soldats, en infériorité, se mirent à incendier les bâtiments ; à cause de cela, le peuple, craignant que toute la ville ne soit détruite, fut contraint de s’entendre avec eux ».

[48] « Cuius merito quis nos sacerdotes appellet: iustitiam namque colimus et boni et aequi notitiam profitemur, aequum ab iniquo separantes, licitum ab illicito discernentes, bonos non solum metu poenarum, verum etiam praemiorum quoque exhortatione efficere cupientes, veram nisi fallor philosophiam, non simulatam affectantes. »

[49] Cf. notamment Paul-Frédéric Girard, Textes de droit romain, Paris, 1890, p. 107-108 ; la notice de Guido Barbieri, « Lex de imperio vespasiani », Dizionario epigrafico, IV 2, 1957, p. 757-758. Egalement Léon Lesuisse, « La clause transitoire de la « Lex de imperio Vespasiani » », Revue belge de philologie et d'histoire, Tome 40 fasc. 1, 1962. p. 51-75 ; Francesco Lucrezi, Leges super principem. La monarchia costituzionale di Vespasiano, Naples, 1982 ; Claude Nicolet, « La Tabula Siarensis, la lex de imperio Vespasiani et le ius relationis de l’empereur au Senat », MEFRA 100, 1988, p. 827-866 ; Frédéric Hurlet, « La Lex de imperio Vespasiani et la légitimité augustéenne », Latomus, T. 52, Fasc. 2 (Avril-juin 1993) p. 261-280.

[50] Les historiens du droit romain ont pu souligner une certaine continuité entre les conceptions républicaine et impériale du rapport entre le législateur et sa loi. Néanmoins il est certain que la matière était plus réglée sous la République, avec les clauses d’exceptio et de sanctio. Voir Yan Thomas, « L’institution juridique de la nature, remarques sur la casuistique du droit naturel à Rome », Les opérations du droit, Paris, 2011, p. 23 et note 12 p. 282.

[51] Ce n’est pas un hasard si l’autre grande référence des commentateurs médiévaux, la lex Digna qui affirme au contraire que le prince doit se soumettre à la loi, est postérieure de deux siècles aux adages d’Ulpien et date des règnes de Théodose II et Valentinien III, une période où le pouvoir impérial est en pleine déconfiture. Certes Septime Sévère et Caracalla faisaient figurer fréquemment dans leurs rescrits la mention « licet enim legibus soluti sumus, attamen legibus vivimus » (d’après les Institutes, 2, 17, 8) mais quand on connaît leur manière de gouverner il est difficile de prendre ces affirmations pour autre chose que de l’autocongratulation et de la propagande.

[52] Rappelons à toutes fins utiles qu’en cumulant en sa personne puissance consulaire et puissance tribunicienne Octave Auguste avait aboli de facto ce qui avait durant quatre siècles servi d’habeas corpus aux citoyens romains : l’intercessio du tribun de la plèbe. A partir de ce moment l’empereur avait l’imperium sans limite sur l’ensemble de ses sujets, soit un droit de vie et de mort sur décision discrétionnaire.

[53] Voir Aldo Schiavone, Ius : l’invention du droit..., op. cit., p. 444-449.

[54] Aldo Schiavone, Ius : l’invention du droit..., op. cit., p. 434-435.

[55] Joseph Hellegouarch, Le vocabulaire... op. cit., p. 267.

[56] On trouvera peut-être le terme un peu fort au sujet de la Rome impériale. Il n’est pas de nous mais de Jacques Bainville, qui l’appliquait à la politique conduite par Jules César dans Les dictateurs, Paris, 1935, p. 35.

[57] Aldo Schiavone, Ius : l’invention du droit..., op. cit., p. 408. Cette remarque du professeur italien n’est qu’un exemple de sa vision très pénétrante de l’époque d’Ulpien et du processus à l’œuvre dans l’évolution autoritaire du pouvoir impérial, qui met d’autant plus en évidence la vigueur de l’illusion d’optique quant à la seule personnalité d’Ulpien qui semble frapper toute l’historiographie malgré les trésors d’analyse qu’elle a pu déployer par ailleurs.

[58] Cf. Ius : l’invention du droit..., op. cit., p. 441-443. Sur l’idée de « vraie philosophie » voir également Giuseppe Falcone, « Iuris praecepta, vera philosophia, iuris prudentia. Metodi di ricerca », Studia et documenta historiae et iuris, 73, 2007, p. 352-387.

[59] L’expression a déjà été employée au sujet du régime impérial romain par Philippe Nemo, Histoire des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Paris, 2007.

[60] Voir Yann Le Bohec, L'armée romaine dans la tourmente. Une nouvelle approche de la crise du troisième siècle, Paris-Monaco, 2009, spécialement p. 82-87.

[61] Rappelons qu’outre la fiscalité renforcée des nouveaux « citoyens » de l’Empire, l’extension du droit de cité à tous les hommes libres entraîna obligation pour les pérégrins chrétiens de sacrifier aux dieux romains comme tout bon citoyen, ce qui à long terme provoqua leurs terribles persécutions politiques, puisqu’ils ne pouvaient, en conscience, s’y soumettre. De ce point de vue l’édit de Caracalla entraîna une intrusion de l’Etat impérial dans les consciences. Ernest Perrot, « L'Édit de Caracalla de 212 et les persécutions contre les chrétiens », Revue d'histoire de l'Église de France, vol. 10, no 49, 1924, p. 556-557.

[62] Pensées pour moi-même, Livre VI, § 54. Dans le même ton on trouve aussi Livre VII, § 55 : « le devoir supérieur, c'est d'abord d'être dévoué à l'intérêt de la communauté ».

[63] Cf. Martin Schermaier, « Ulpian als „wahrer Philosoph“ », art. cit. et Tony Honoré, « Ulpian, Natural Law and Stoic Influence », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, Volume 78, n° 1-2, 2010, p. 199-208.

[64] Michel Villey, La Formation de la pensée juridique moderne, Paris, 2003, p. 103.

[65] Ibid., p. 75-77.

[66] Jean Gaudemet, « Utilitas publica », Revue historique de droit français et étranger, 1951, p. 478.

[67] Sur cette formule en particulier voir Félix Senn, De iustitia et iure. Explication de la définition traditionnelle de la justice, Paris, 1927. Cette étude est vieillie car la philologie n’avait pas encore proposé la nouvelle étymologie reliant ius à l’indo-iranien yaus, et Senn retient celle d’Ihering le rapprochant de l’idée de « joug ». Voir également Giuseppe Falcone, « Ius suum cuique tribuere », Annali del Seminario Giuridico di Palermo, 52, 2007-2008, p. 133-176.

[68] Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, chapitre XVIII.

[69] Giuliano Crifo, « De pax a iustitia... » art. cit., p. 218 : « Resta il fatto che a partire dai rescritti di Diocleziano iustitia diventa più frequente ». Notons ici que si l’on ne trouve au Digeste que sept emplois pour iustitia (Ulpien en D 1. 1. 1, D 1. 1. 10, D 47. 10. 1, et D 48, 5, 18 (17). 6, Tryphonien en D 11. 4. 5 et D 16, 3, 31, 1 et Modestin en D 4, 1, 3) le terme est employé vingt-quatre fois dans le Code, ce qui souligne la considération croissante de la justice comme fin du droit, à l’opposé de son sens initial, et comme principe idéologique après l’époque d’Ulpien.

[70] Pour reprendre les mots de Joseph Hellegouarch, Le vocabulaire... op. cit., p. 570.

[71] Claude Nicolet, Le métier de citoyen..., op. cit., p. 446.

[72] Paul Veyne, « Qu’était-ce qu’un empereur romain ? », L’Empire gréco-romain, Paris, 2005, p. 50.

[73] Le témoignage de Dion Cassius va dans ce sens, qui fait de l’extension universelle de la citoyenneté un moyen de prédation fiscale. Voir Histoire romaine, LXXVII, 9.

[74] Cf. Tony Honoré, « Les droits de l’homme chez Ulpien », Le Monde Antique et les Droits de l’Homme, Huguette Jones (dir.), Bruxelles, 1998, p. 243.

[75] Étant donné qu’au côté d’Ulpien on trouvait Paul, Papinien, Modestin et Gaius, les jurisconsultes ayant fait partie du cercle restreint du pouvoir impérial étaient en majorité.

[76] Marcel Morabito, Les réalités de l’esclavage d’après le Digeste, Paris, 1981, p. 286.

[77] Procope de Césarée, Histoire de la guerre contre les Perses, I.24.54 : « Θνήσκουσί τε τοῦ δήμου πλέον ἢ τρισμύριοι ἐν ταύτῃ τῇ ἡμέρᾳ ».

[78] Cf. Tony Honoré, « Les droits de l’homme chez Ulpien », art. cit., p. 235-236.

[79] Diego Quaglioni, A une déesse inconnue, La conception pré-moderne de la justice, Paris, 2003.

[80] Le De officiis, dernière œuvre de Cicéron, dénonce presqu’explicitement le piétinement des institutions romaines par ses ambitieux contemporains. Le brutal Antoine au premier chef, mais le rusé Octave n’est pas bien loin : « Maxime autem adducuntur plerique, ut eos iustitiae capiat oblivio, quum in imperiorum, honorum, gloriae cupiditatem inciderint » ; « Très souvent ils en viennent à oublier toute idée de justice, lorsqu’ ils sont envahis par l’avidité de pouvoir, d’honneur et de gloire ». De officiis, Livre I, VIII. « Justice » serait ici probablement mieux traduit par « légalité » ou « respect du droit ».

[81] Jacques Krynen, L’Etat de justice en France, XIIIe-XXe siècle, I, L’idéologie de la magistrature ancienne, Paris, 2009 et II, L’emprise contemporaine des juges, Paris, Gallimard, 2012.

[82] Rappelons à titre d’illustration l’article 39, chapitre 7 : « Les droits fondamentaux, libertés et devoirs des citoyens de l’URSS » de la Constitution soviétique de 1977 : « Les citoyens de l’URSS jouissent pleinement des droits et libertés sociaux, économiques, politiques et individuels proclamés et garantis par la Constitution de l’URSS et par les lois soviétiques. Le système socialiste assure l’extension des droits et libertés des citoyens et l’affirmation continue de leur niveau de vie à mesure que les programmes de développement économique, social et culturel sont accomplis. ». Pour des gens peu informés de la réalité du régime soviétique, un tel discours serait l’occasion certaine de confusions multiples.

 

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Commentaires
S
Bon en fait ça va être simple,<br /> <br /> je ne vous demande pas la permission mais je vais imprimer et distribuer cette étude ici et là, à Paris et en province ( pas partout mais au moins là ou je peux ) .. bref je veux, putin ça c important c merde, c pas o lycé qu'on nous pose des trucs subtile ... peut etre chiant ... mais pertinent
Répondre
R
Bonsoir,<br /> <br /> <br /> <br /> Merci d'avoir recherché, synthétisé, expliqué tout ceci; bref, merci.
Répondre
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