Cela fait un moment que je n'ai pas fait le point sur l'évolution du clivage en France, et il m'apparaît que l'actualité l'impose.

En effet, j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises le calcul fait par François Hollande et son orchestre pour obtenir ce qui semble être, pour le désastreux président sortant, le seul scénario possible de réélection : un deuxième tour Hollande-Marine Le Pen. 

Pour ce qui est de la présence au deuxième tour de François Hollande, c'est loin d'être encore gagné, mais les confidences de Michel Sapin laissent penser, comme on s'y attendait d'ailleurs, que l'obsession du président pour sa petite personne le poussera à prendre le risque.

La stratégie de construction d'un clivage FN-PS en lieu et place de la traditionnelle opposition droite classique-PS ne porte jusqu'ici ses fruits, cependant, que pour ce qui est de faire monter le FN : Marine Le Pen est désormais donnée en tête au premier tour de la présidentielle dans toutes les sondages et toutes les configurations, à tel point que les journalistes ne s'y attardent même plus : c'est devenu normal, et la question est désormais "qui sera face à Marine Le Pen au second tour ?". Que le pays tout entier ne soit pas affligé, consterné et intellectuellement mobilisé par une question du type "mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" en dit, en soi, long sur le désarroi politique et médiatique.

Les médias, eux, s'accomodent fort bien de cette montée du FN. Les motifs en sont pêle-mêle que nos journalistes sont généralement des commentateurs déconnectés qui suivent l'actualité comme s'il s'agissait d'un match de foot ou d'une série télé ; que pour une profession fort hostile à la droite traditionnelle l'idée de faire peur au peuple avec Marine Le Pen pour qu'il vote dans le bon sens n'est pas inutile ; et enfin qu'il faut bien préparer l'après, et que si Marine Le Pen venait à être élue il faudrait continuer à toucher les subventions du prince, et donc n'être pas trop dans ses mauvaises grâces.

A droite, la manoeuvre poussant à la montée du FN a un double effet : soit elle siphonne d'ores et déjà l'électorat et les militants en les attirant vers l'extrême-droite, soit elle pousse ceux qui restent chez les Républicains à développer un discours tout aussi abruti que celui du Front National. Ainsi, l'on commence à voir de petits cadres des Républicains s'engager dans la Marine sans doute conscients de ce que les perspectives professionnelles étaient plus prometteuses qu'au sein d'un parti dont les présidentiables ont entre 60 et 70 ans ; mais on trouve aussi des anciens engagés locaux pour suivre ce chemin.

Du côté de Xavier Bertrand, habituellement considéré comme un des plus centristes Républicains, germe l'idée orwellienne d'un Ministère de l'Autorité rassemblant la Police et la Justice, parce que l'indépendance de la justice c'est tellement has been...

Grâce à cette évolution néfaste de la droite française, les socialistes ont pu passer à la deuxième étape du plan et annoncer que vu ce que la droite est en train de devenir, il n'y aura plus de front républicain face au Front National. C'est-à-dire qu'en cas de triangulaire, le candidat PS se maintiendra même sans aucune chance d'être élu, au risque de voir passer un candidat frontiste. Cela devrait permettre au Front National de gagner quelques fiefs lors des régionales, de plonger un peu plus dans le désarroi la droite et de rassembler les troupes de gauche, notamment les "frondeurs" socialistes, mais aussi les écologistes et l'extrême-gauche, dans un large front antifasciste hypocrite (parce que quand on est vraiment contre le fascisme, on évite de le développer).

Le boulangisme a donc de beaux jours devant lui, ce qui semble d'autant plus inéluctable si l'on constate à quel point les mécaniques clientélistes qui dictent la politique au plan local comme national sont mesurables, quantifiables, explicables. Je ne résiste pas à reproduire ici un extrait de cette interview au Figaro de cette élue PS, qui résume tout fort bien : "En faisant la preuve de leur capacité à mobiliser, les organisateurs envoient aussi le message qu'ils ont à disposition une réserve de voix faciles pouvant faire ou défaire une élection. L'abstention étant massive, ces grosses réserves de voix pèsent. Et croyez bien que pour des partis exsangues, sans visions ni repères, le communautarisme et son pendant, le clientélisme, sont les seuls moyens de contrôler des territoires et d'assurer la pérennité du pouvoir, serait-ce au prix de la trahison des principes qui fondent la sphère publique et la fraternité, au sens propre. Qu'importe quand on n'habite pas les quartiers populaires, et tant que l'on peut contourner la carte scolaire.

À Pontoise, il s'agit d'un maire de droite, Philippe Houillon, mais le silence assourdissant de tous les élus du territoire est révélateur, notamment celui du député-président de l'agglomération PS, Dominique Lefebvre. Ce n'est pas ici une question de personnes mais de système.

Quand l'abstention est à ce point élevé, l'élection se fait en instrumentalisant les communautés, les particularismes... Pour que les votes soient garantis et massifs, mieux vaut que les individus ne réfléchissent pas trop par eux-mêmes et soient sous emprise. Or l'intégrisme, le fanatisme, le fondamentalisme, c'est la forme la plus aboutie d'emprise. Caricaturalement, négocier avec un «barbu», souvent sous couvert d'aide à une association dite culturelle ou sociale, peut vous permettre de fixer des quartiers entiers. C'est donc une rente de situation que l'on pérennise en servant les intérêts de ceux qui manipulent leur communauté. Ainsi, communautarisme et clientélisme sont les deux mamelles de l'électoralisme..."

Et à ceux qui pensaient que, de toute façon, une élection populiste se terminerait rapidement par une déconfiture électorale, la réélection de Syriza vient rappeler que les choses ne seront pas si simples.

 Bref, ce que l'on peut constater, c'est bien que l'absence de clivage gauche-droite conduit à apparaître une sorte de clivage modérés-extrêmes. Mais le drame de la France est qu'en outre, le président en exercice cherche à exploiter ce nouveau clivage à son avantage, le tord et interdit ainsi que l'union des gens de raison se fasse efficacement, car nul individu raisonnable ne saurait supporter François Hollande et son Cambadélis. Le résultat est que 2017 s'annonce une élection à haut risque.