Il y a quelques jours, j'ai expliqué, en me fondant sur un parallèle antique, pourquoi je pense que l'Union européenne va finir par éclater.
Le problème avec l'historionomie, c'est qu'elle permet d'avoir une idée globale de la manière dont les choses vont se passer, ainsi qu'une fourchette de temps, mais ne permet pas de prédire les causes de déclenchement et les modalités exactes de réalisation des grands événements que l'on peut prévoir ; ce en raison de la nature probabiliste de ce mode de réalisation de l'histoire, en dépit d'une trajectoire de fond qui demeure déterministe.
Ainsi, aujourd'hui, les contraintes qui pèsent sur la structure européenne et menacent de la faire céder sont multiples : il y a le problème grec, qui n'est pas réglé et qui, quoique l'attention des médias en soit actuellement détournée en raison de la crise migratoire, va vraisemblablement connaître un nouveau rebondissement dramatique avec le résultat des élections du 20 septembre prochain.
Il y a ensuite cette crise migratoire, qui divise autant les peuples et les gouvernements européens qu'a pu le faire la crise grecque.
La confusion est telle qu'aujourd'hui, deux semaines après avoir "ouvert les vannes", Angela Merkel décide de les fermer tout aussi brutalement, en suspendant en pratique les accords de Schengen. Peut-on imaginer revirement plus spectaculaire ? Durant deux semaines, on nous a expliqué que l'Allemagne faisait preuve d'un humanisme magnifique, pendant que les sceptiques et les esprits forts s'entêtaient à se demander pourquoi, si l'Allemagne avait tant besoin de migrants et était si prompte à les accueillir, elle exigeait dans le même temps la mise en place de quotas. Et les voisins renâclant à cette idée, voici que l'Allemagne décide soudain de fermer ses portes, se déclarant rassasiée. On se demande quelles sont les raisons exactes d'un tel revirement : Madame Merkel a-t-elle eu des chiffres sur la menace terroriste ? Ou plus simplement pris le poul d'une population allemande moins enthousiaste que prévu à l'arrivée massive de migrants ?
A vrai dire, il me semble que nous arrivons dans une phase d'instabilité politique et médiatique inédite. On passe en deux semaines de l'inquiétude à l'enthousiasme médiatique matraqué, illustré par la photo d'un petit enfant mort, puis l'on ferme les portes en expliquant qu'on en a eu assez. L'Allemagne avait annoncé pouvoir accueillir 800 000 migrants : ont-ils donc pénétré d'une vague dans l'espace de ces deux semaines ?
Ou peut-être Madame Merkel a-t-elle eu connaissance de rapports tel que celui de l'armée française, expliquant qu'un million de migrants supplémentaires attendaient de l'autre côté de la Mediterranée, prêts à traverser la mer -et à s'y faire aider en prenant en otage la charité européenne et les sauveteurs maritimes - depuis la Libye.
Toujours est-il que l'Italie a emboîté le pas à l'Allemagne et suspend la libre circulation à son tour.
Il semble que la Pologne soit sur le point d'en faire autant.
Cette fermeture à la vague migratoire va-t-elle devenir le nouveau discours à l'échelle européenne, en une inversion totale de point de vue en l'espace d'un petit mois ? Difficile à dire, quand on constate, effaré, la versatilité de la première puissance économique et démographique du continent.
Ce qui ressort de tout cela, et que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore n'y change rien, c'est que l'approche globale, communautaire, a une nouvelle fois tendance à s'effacer au profit du chacun pour soi ; cette vague de rétablissement des contrôles aux frontières n'étant vraisemblablement pas une décision concertée pour gérer les flux, ce qui aurait pu être pertinent, mais ressemble bien plus à cette scène classique de western, lorsque les Indiens arrivent et que chacun se claquemure chez soi. Aujourd'hui, l'Europe paraît sur le point d'offir le spectacle d'une rue déserte au milieu de laquelle roulent, dans le vent, des buissons secs.
Les Indiens vont arriver !
Ce mouvement de fermeture en cascade des frontières n'est pas une politique globale européenne de gestion de la crise migratoire, c'est l'expression d'une non-politique, d'une incapacité à la coopération supplémentaire, comme sur tant d'autres sujets. Et chaque expérience de l'échec mine un peu plus la confiance en ce que pourrait être l'Europe, laquelle apparaît de moins en moins comme un rêve à poursuivre, mais comme une illusion à laquelle renoncer.
J'ignore si c'est bien ou mal. Ce que je pense, c'est que c'était couru d'avance : les Grecs de l'Antiquité n'y parvinrent pas à quelques dizaines de milliers et sur la petite péninsule du Péloponnèse, au sein de la Ligue achéenne, alors qu'ils parlaient tous la même langue. Faire l'Europe avec plusieurs centaines de millions d'individus parlant plus de vingt langues inintelligibles les unes aux autres n'avait guère de raison de mieux fonctionner.
Si demain l'Union Européenne éclate, ce ne sera pas à cause du problème grec ou de celui des migrants, ce ne sera pas non plus parce que le Royaume-Uni décidera par référendum (c'est désormais plausible) de quitter l'Union ; mais pour un tout, et le premier est un défaut de nature. Il est impossible de prédire exactement quand l'Union éclatera et quel sera le point d'achoppement qui paraîtra causal à ce moment-là.
Mais il est certain, pour moi, que l'éclatement aura lieu avant dix ans.