La lecture récente d’un article sur Futurascience m’a rappelé quelques lignes de Simon Leys dans Le Bonheur des petits poissons. Il y disait en substance que certaines sentences émises par des individus nous renseignent plus sur ces individus eux-mêmes que ce sur quoi leur jugement porte. Ainsi, disait Leys, lorsque Wagner disait que Mozart était un compositeur « pas sérieux », cela ne nous renseignait guère sur Mozart, mais en disait long sur Wagner.

Mon impression sur cet article, ou plutôt sur ce qu’il rapporte, est la même.

En résumé, une « philosophe » et un astronome ont émis l’idée que les extra-terrestres seraient en fait des intelligences artificielles tellement supérieures à nous que nous serions sans intérêt ; et l’avenir de l’humanité elle-même serait dans la création d’intelligences artificielles bien supérieures à l’homme, conscientes et rendant par leur supériorité l’humanité obsolète : « une intelligence capable de dépasser les plus hauts niveaux d'intelligence humaine dans tous les domaines — capacités sociales, sagacité, créativité scientifique, etc  […] Il en découle que les progrès exponentiels de l’informatique devraient bientôt faire émerger des superordinateurs conscients, lesquels seront en mesure de s’auto-améliorer tellement rapidement qu’ils déboucheront très vite sur des intelligences et des systèmes conscients qui seront aussi éloignés de nous et incompréhensibles à notre esprit que nous le somme des trilobites.».  Le développement de telles intelligences artificielles serait une nécessité pour l’exploration spatiale : « Que ce soit sous forme de copies ou de réels téléchargements de la conscience sur de tels systèmes, qui pourraient être eux-mêmes fort différents par certains côtés de nos ordinateurs actuels, l’humanité pourrait donc bien abandonner tout existence sous forme biologique avant de pouvoir s’élancer vers les étoiles ». En effet, la barrière de la vitesse de la lumière et les problèmes de voyage relativistes feraient que les robots seraient bien plus adaptés à l’exploration spatiale : « L’espace est profondément inhospitalier pour des êtres vivants. Le voyage interstellaire nécessite du temps et de l’énergie, de sorte qu’il faut probablement des milliers d’années pour passer d’une étoile à une autre. » Cerise sur le gâteau bouclant la boucle : « Ce bond évolutif donnerait alors une explication simple au paradoxe de Fermi. »

Je commencerai très brièvement par cette histoire de paradoxe de Fermi (« S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ? »), que l’on nous ressert régulièrement comme si l’on n’y avait pas trouvé de solution, alors que les solutions proposées sont multiples, notamment la fameuse Directive Première de Star Trek, pour ne citer qu’elle, pour ce qui est des prises de contact volontaires. On peut discuter ces solutions proposées, mais faire simplement comme si elles n’existaient pas, n’avaient jamais été formulées, est très agaçant. L’autre aspect du paradoxe de Fermi concerne les contacts involontaires, spécialement la propagation d’ondes radios, que l’on devrait finir par entendre si des extraterrestres peuplent la galaxie depuis des centaines de milliers d’années. Là-dessus, nous disposons d’un élément de réponse : l’affaire du signal Wow.

Il ne s’agit pas pour moi de préjuger que ce signal ait effectivement été le produit d’une intelligence extraterrestres. Simplement cette affaire rappelle une vérité évidente qui est que l’Homme n’est pas en permanence en train d’écouter tout ce qui se passe dans tout l’Univers. Et quand il capte quelque chose, il n’a même pas la réactivité technique et la capacité nécessaire pour dire exactement de quoi il s’agit. On peut donc bien utiliser le paradoxe de Fermi comme instrument de discussion sur la question de la vie extraterrestre, en ce qu’il résume un certain nombre de questions de manière simple. Mais l’utiliser comme une réponse au problème de la vie extraterrestre, ou simplement comme un obstacle attendant encore d’être surmonté avant de pouvoir poser en thèse l’existence de civilisations extérieures, est un non-sens.

Plus fondamentalement, et pour revenir sur ce que je disais en commençant, l’article est surtout intéressant en ce qu’il fait montre de certaines contradictions de la pensée scientifique actuelle. Ainsi, à lire l’article, on comprend que fabriquer une intelligence artificielle pleinement consciente ne serait qu’une question de temps, tandis que trouver un moyen de voyager en s’affranchissant de la barrière de la vitesse de la lumière serait rigoureusement inenvisageable ; ou, à tout le moins, que l’on serait plus près de réussir la première prouesse que la seconde, et l’on serait condamné à réussir la première par l’existence même de la barrière de la seconde.

Il s’agit bien d’une contradiction, non pas dans le fond des affirmations, certes : le fait que l’on pense pouvoir produire un ordinateur conscient n’est pas en soi contradictoire avec l’impossibilité de se mouvoir plus vite que la lumière, les deux sujets n’ayant rien à voir. La contradiction est dans l’esprit à la base de ces affirmations : pour l’un il est permis de croire en la capacité technologique de l’Homme, pour l’autre non. Nous sommes là en présence d’un pur a priori, d’un préjugé.

Il me semble donc bien qu’il y a contradiction, et qu’elle est révélatrice de préjugés répandus sinon dans la totalité – ne faisons pas de généralisation gratuite – du moins une partie du monde scientifique actuel. A croire ces idées arbitraires la technologie humaine pourrait réussir certains exploits, d’autres non.

Certaines choses seraient des connaissances scientifiques définitives sur lesquelles il serait inenvisageable de revenir, malgré des données contradictoires avec le modèle admis, d’autres fois la plus grande fantaisie imaginative serait de mise, en dépit d’obstacle évidents.

Le fait que des théories aient été avancées pour, non pas supprimer, mais contourner l’obstacle de la vitesse de la lumière, afin de rendre l’exploration spatiale aussi rapide et humano-compatible que le furent les voyages transocéaniques à partir de Christophe Colomb, montre que cette idée de la nécessité de recourir aux robots et de voyager des milliers d’années pour faire de l’exploration spatiale ne s’impose nullement comme une vérité définitive ; et pourtant, comme pour le paradoxe de Fermi, nombre de journalistes et de scientifiques qui abordent la question n’évoquent même pas ces possibilités.

Cela ne serait pas un problème s’ils se plaçaient uniquement dans une vision actuelle des choses, non prospective. Mais il y a de quoi s’étonner dès lors qu’ils se placent bien dans une telle démarche prospective, et plus encore quand dans un autre domaine, relevant tout autant de la science-fiction, ils expliquent avec enthousiasme que telle et telle chose est possible, voire probable.

Le préjugé fondamental qui est émis dans cet article concerne ce « difficile problème de la conscience », si difficile que ceux qui expliquent qu’elle sera pleinement comprise et devenue phénomène technologiquement reproductible d’ici la fin du siècle l’esquivent prudemment. Autre attitude agaçante de la part de scientifiques : avancer une hypothèse, voire une prévision, audacieuse mais en évitant soigneusement d’expliquer comment et pourquoi !

Mais surtout, je parle de préjugé fondamental parce que les scientifiques mentionnés dans cet article, faisant ces « prévisions », paraissent avoir une certitude quant à la conscience : c’est un pur produit de la matière, et en tant que tel il suffit de fabriquer un suffisamment puissant pour produire une telle conscience. Mais pourtant la vitesse de la lumière, qui elle aussi n’est jamais qu’un effet des lois physiques de l’univers, devrait aussi être considérée comme une pure contrainte matérielle.

Bref, je n’ai pas véritablement de conclusions sur ces observations. Si ce n’est qu’elles montrent que, pas moins aujourd’hui que jadis, la recherche, l’espoir scientifique humain semble se donner des barrières arbitraires, sans vraiment de raison, et se conduire dans des impasses. Cela pourrait n’être pas sans conséquence : il n’est pas dit que ce blocage culturel sur le voyage spatial repousse de plusieurs centaines d’années le franchissement effectif de la barrière de la vitesse de la lumière.

Spaceship5Mais bon, on peut toujours continuer à rêver en pensant notamment au Warp drive imaginé par Harold White, fondé sur la métrique d'Alcubierre. Même si le projet a été médiatiquement grossi par rapport à sa réalité.