La prochaine guerre sera-t-elle nucléaire ?
Comme promis, je reviens sur cette question sur laquelle se terminait mon dernier billet : après deux articles consacrés à expliquer de différentes manières (ici et là )pourquoi je pense qu’un conflit majeur éclatera entre les Etats-Unis et ses alliés fidèles, d’une part, la Russie, la Chine et les pays qu’ils parviendront à séduire d’autre part, autour de 2020 (en passant par une nouvelle crise économique américaine et mondiale en 2016).
En songeant à une guerre en Europe dont le principal antagoniste serait la Russie de Vladimir Poutine, laquelle souhaite réaliser son rêve pluriséculaire de domination du continent, le scénario nucléaire vient évidemment à l’esprit. Soit pour considérer que ces armes interdisent toute guerre, soit au contraire pour craindre un holocauste.
Le premier à avoir cherché à conquérir l’Europe entière pour l’unifier fut Napoléon, et cela provoqua quelque chose comme cinq millions de morts.
Le second, Adolf Hitler, provoqua une guerre qui fit plus de cinquante millions de morts.
Il n’est pas à exclure qu’ait lieu une guerre nucléaire qui fasse cinq cent millions de morts, en comptant tant les frappes elles-mêmes que les famines qui pourraient toucher le monde en cas d’hiver nucléaire.
Mais ce prochain conflit sera-t-il nucléaire ?
Dans un précédent billet, j’évoquais l’idée de Laurent Artur du Plessis dans son livre De la Crise à la guerre, voulant les guerres sont menées principalement avec les armes qui ont terminé les précédentes : l’artillerie a donné l’avantage aux prussiens en 1870, et s’est imposée en 1914, conduisant à la guerre de tranchées. C’est en tant qu’ils dépassaient cette problématique que les avions et les chars ont gagné en 1918 et été les armes principales en 1939, mais ce sont les bombes atomiques qui ont terminé la Seconde guerre mondiale.
M’arrêtant là, je reprenais telle quelle l’idée de Laurent Artur du Plessis, quoique seulement à titre d’indice, non que la croie « loi » intangible, et craignais que la prochaine guerre ne soit, effectivement, une guerre nucléaire.
Cependant, après réflexion et quelques discussions, j’incline à penser que la guerre nucléaire a déjà eu lieu, et que ce fut précisément la Guerre froide : on ne peut pas vraiment dire que les armes nucléaires n’ont jamais été employées, simplement il s’est essentiellement agi d’un emploi négatif, dissuasif : aucun des belligérants, USA et URSS, ne pouvait se passer de ces armes.
Qu’en a-t-il résulté ? A une autre échelle, les armes nucléaires ont eu un effet comparable à celui de l’artillerie moderne avant l’apparition des blindés et de l’aviation : la Guerre froide a été une guerre de tranchées mondiale, avec des positions tenues et quelques tentatives de percées, çà et là : Vietnâm, Afghanistan…
Et quelle est la nouveauté militaire qui a conduit à la fin de la Guerre froide ? L’Initiative de Défense Stratégique de Reagan.
Et depuis, il n’y a plus eu de guerre entre grandes puissances.
Cela pourrait bien signifier que l’arme de demain n’est pas l’arme atomique.
Certes, elle ne disparaîtra pas : l’infanterie, l’artillerie, les chars et l’aviation n’ont pas disparu. Mais elle perdra son statut d’arme maîtresse.
Si les choses vont ainsi, les armes principales de la prochaine guerre devraient être essentiellement les prolongations et retombées de l’Initiative de Défense Stratégique, c’est-à-dire les armes à énergie dirigée, et des cyber-armes. On sait que depuis trente ans les Etats-Unis ont multiplié les programmes de recherche sur les armes à micro-ondes et armes laser, avec des emplois très différents. D’énormes progrès ont été faits dans la maîtrise de ces technologies, et il est vraisemblable que l’arsenal américain dans ces domaines soit plus important qu’on ne croit.
L’autre versant des retombées de l’IDS est dans la militarisation de l’espace. Ainsi, on ne sait pas vraiment à quoi sert le X-37, ce drone-navette spatiale américain qui a d’abord été développé par la NASA avant d’être repris par la DARPA, l’agence américaine de recherche en armement, et l’US Air Force, et d’être classé confidentiel à partir de 2004.
Il est impossible de dire à quoi il sert exactement, et j’entre là dans la pure spéculation, mais son intérêt pourrait être à terme de maintenir de manière permanente, dans l’espace (lors de son dernier voyage, il est resté 674 jours en orbite) un véhicule armé d’une charge nucléaire destinée à provoquer une impulsion électromagnétique afin de paralyser une bonne partie des systèmes d’armes de l’ennemi, spécifiquement nucléaires, suffisamment longtemps pour pouvoir les frapper et se placer ainsi en situation de force, l’ennemi étant partiellement désarmé.
D’après sa charge utile, le X-37 pourrait ainsi se promener en orbite basse, en transportant quelques têtes nucléaires d’une puissance de quelques centaines de kilotonnes chacune, sachant qu’une explosion nucléaire de 100 kt à 100 km d’altitude suffirait pour frapper d’une impulsion électromagnétique la moitié du territoire américain. De quoi, donc paralyser temporairement la Chine ou la Russie, soit en vue d’une simple intimidation, soit en vue, dans un deuxième temps, d’un bombardement conventionnel ou nucléaire limité aux sites de lancement de missiles terrestres, l’Amérique comptant sur l’interception des sous-marin lanceurs d’engin ennemis pour achever de réduire la capacité de riposte adverse.
Et s’il faut dissuader l’ennemi d’utiliser les faibles capacités demeurant intactes, il reste alors le bouclier antimissile américain actuel, dont on sait qu’il ne pourrait arrêter qu’une vague de moins d’une vingtaine de missiles balistiques.
Par ailleurs, les Etats-Unis n’ont pas cessé, depuis l’IDS, de développer des armes laser, notamment antimissiles, parmi lesquelles le Boeing YAL, un avion tueur de missiles.
Ces technologies ne sont peut-etre pas toutes encore au point, mais pourraient bien l’être d’ici quatre ou cinq ans, soit la période pour laquelle je prévois l’éclatement d’un conflit mondial. Elles pourraient, elles aussi, s’inscrire dans le vaste système antimissiles américain.
A ces contre-mesures s’ajouterait l’éventuelle menace américaine de procéder à un bombardement nucléaire massif en cas de telle riposte. L’équilibre de la terreur étant brisé par les manoeuvres précédentes, une riposte nucléaire contre les Etats-Unis serait très improbable.
La stratégie du Sergent Zim : "L'ennemi ne pourra pas appuyer sur le bouton si on lui paralyse la main droite !"
Ainsi donc, ce prochain conflit pourrait n’être pas nucléaire, ou seulement partiellement nucléaire, sans mener à un holocauste, ce en raison d’une possible supériorité technologique militaire des Etats-Unis, fruit de recherches ininterrompues durant vingt-cinq ans, tandis que la Russie traversait une difficile période après la chute de l’URSS. Difficile de croire que des coûteux projets nourris quasiment en continu depuis l’Initiative de Défense Stratégique, au pays du Projet Manhattan, d’Appolo et du SR-71, il ne soit pas sorti quelques avantages comme ceux décrits ci-dessus, qui ne me paraissent pas relever du fantasme ni du délire technologique.
Il n’est pas impossible qu’aujourd’hui, Vladimir Poutine, qui cherche à moderniser son arsenal nucléaire, notamment en construisant un train devant servir de sous-marin lanceur d’engin terrestre, soit en réalité en train de construire une ligne Maginot qui pourrait être contournée par les Américains comme les Allemands ont contourné l’originale en 1940.
Mais inversement, il ne faut pas négliger les conséquences pratiques de la probable avancée technologique américaine : cela signifierait que l’équilibre de la terreur serait rompu, et qu’il ne resterait qu’un seul géant capable de dicter sa loi à l’échelle globale, et qui n’en serait jusqu’ici dissuadé que par son bon vouloir.