La « Troisième guerre mondiale » ? Peu probable avant 2017. Après, oui.
Dans mon précédent billet, j’évoquais la date probable du prochain conflit de grande ampleur, du genre que l’on qualifie habituellement de « Troisième guerre mondiale », en recourant à l’étude des schémas historiques. Comme promis, je voudrais ici revenir sur la même question, mais plutôt en analysant la situation actuelle pour voir si les choses « collent ».
Il y a quelques jours j’ai vu circuler sur les réseaux sociaux cette information : selon un responsable haut placé de l’OTAN, une guerre serait pour cet été, et nous aurons de la chance si elle n’est pas nucléaire.
Comme j’ai eu l’occasion de le faire sur lesdits réseaux sociaux, je voudrais ici expliquer pourquoi je pense qu’une guerre d’une telle ampleur a bien peu de chances d’éclater avant le second semestre 2017... et en revanche des chances assez importantes après cette date.
D'abord, en Europe, il n'y a guère que deux puissances capables de déclencher une guerre : l'Amérique, et la Russie.
Les pays ne déclenchent des guerres, a fortiori si elles risquent d'être nucléaires, que dès lors qu'ils poursuivent des objectifs stratégiques fondamentaux, voire vitaux, et que ces objectifs ne peuvent pas être atteints par d'autres moyens.
Ces objectifs sont simples : pour les USA, il s’agit de garder la mainmise sur l'Europe, car selon la doctrine Brzezinski l’Amérique ne peut être vraiment hégémonique sur l’ensemble du globe que si elle contrôle l’Europe - et la nécessité de l’hégémonie est un principe directeur de la vision stratégique américaine, comme j’avais déjà eu l’occasion de l’exposer sur ce blog. Pour l’Amérique, donc, l’objectif est le maintien d’un statu quo en Europe.
Actuellement, le bloc occidental représente plus de 820 millions d’habitants, et près de la moitié du PIB mondial.
A côté, la Russie fait figure de nain géopolitique : moins de 150 millions d’habitants, moins de 3% du PIB mondial. Depuis 2013, le ralentissement de la croissance russe et la chute des prix des hydrocarbures, Vladimir Poutine a compris que la Russie ne deviendrait pas une grande puissance économique comme la Chine. Il a vraisemblablement compris aussi que, si la Chine pouvait faire un très bon allié de circonstances, et de grand poids, elle a son propre agenda stratégique dans lequel la Russie n’est qu’une périphérie de l’Empire du Milieu. Par ailleurs, contrairement à l’Europe, la Chine est unie sous un seul gouvernement de fer, et n’hésiterait pas à employer les mêmes méthodes brutales que le Kremlin pour atteindre ses objectifs.
Une attitude russe raisonnable serait de constater, comme les pays européens d’après-guerre, que le temps de leurs ambitions rivales globales était révolu, coincés qu’ils étaient entre deux géants soviétique et américain, et que la coopération était la condition de l’autonomie. Mais les élites russes n’en sont pas encore là, et la Russie cherche encore à jouer un rôle de premier plan, à obtenir une position hégémonique, malgré l’évidente supériorité des deux géants que sont les Etats-Unis et la Chine, au niveau desquels elle n’est pas.
L’espoir de Poutine et des eurasiste réside dans la conquête de l’Europe, qui connaît des tensions politiques internes, et à l’intérieur de laquelle il a pu, pendant quinze ans, mettre sur pied une cinquième colonne. Elle semble donc une proie à la portée de la Russie. Le but du Kremlin est de créer, en s’emparant de l’Europe, un bloc de 700 millions d’âmes, et combiner la première économie du monde, celle de l’Union européenne, avec les capacités militaires russes, essentiellement nucléaires. Ainsi, ce bloc eurasien aurait une économie d’un volume plus important que celle des Etats-Unis (ou plutôt équivalent, car il est peu vraisemblable que le Royaume-Uni en ferait partie). Cela permettrait à la Russie, après avoir réduit, croit-il, la puissance américaine, de reprendre le dessus sur la Chine et d’offrir finalement à la Russie un triomphe semblable à celui que connurent les Etats-Unis en 1991.
Des intérêts stratégiques simples, donc, mais radicalement antagoniques et, dans chaque cas, perçus comme quasi-vitaux, de ceux dont l’on est prêt à risquer très gros pour les préserver.
Ni les uns ni les autres n'ont intérêt à déclencher une guerre tant qu'ils peuvent penser atteindre leur objectif de manière plus simple et moins aléatoire.
Cependant Poutine a enclenché, avec l'affaire ukrainienne, un compte à rebours. Avec les sanctions économiques et les prix bas des hydrocarbures (qui ne devraient pas rapidement remonter vers des sommets, sauf si l'Etat islamique s'empare de l'Arabie Saoudite, ou événement d’ampleur équivalente), l'économie russe est à la peine, et Poutine a commencéà dépenser ses réserves de change pour la soutenir (elles étaient à 388 milliards de dollars en janvier, et sont aujourd’hui à 362 milliards). Cela devrait lui permettre de tenir durant plusieurs années de sanctions avant l’épuisement du trésor de guerre (que Poutine avait soigneusement constitué durant une décennie, probablement en prévision des mouvements actuels : c’est un trésor de guerre à investir dans un bras de fer avec l’UE et les Américains, dans le but d’obtenir un butin énorme : l’Europe entière).
Lorsque ces réserves seront épuisées, le régime n’aura plus guère de parade contre les sanctions, et lui sera difficile de boucler ses budgets, spécialement son budget militaire. Cela fragiliserait la position de Poutine, et pourrait menacer la stabilité du régime, comme ce fut le cas pour l’URSS finissante. La différence étant que Poutine n’est pas Gorbatchev, et que le climat interne en Russie n’est pas du tout le même : au début des années 1990, le sentiment général était que la Russie payait pour le reste de l’URSS, et qu’il fallait se délester des autres républiques soviétiques ; c’est ce sentiment qui porta Elstine au pouvoir lequel, en retirant la Russie de l’URSS, provoqua la dislocation de l’Union soviétique. Aujourd’hui le discours médiatique est celui de l’exaltation nationaliste et de la citadelle assiégée, situation qui, en cas de troubles conduirait plus vraisemblablement à l’aventure militaire extérieure qu’à la tentative de réforme.
Un calcul que le Kremlin a sans doute déjà fait, puisqu’à ce moment là, vers 2020, le programme de réarmement russe sera achevé.
Par ailleurs, en 2017, Poutine verra si oui ou non il peut réussir son gros coup et voir Marine Le Pen élue en France, ce qui lui donnerait un allié, paralyserait l'UE et l'OTAN et permettrait de menacer l'Allemagne prise en tenaille. En faisant jouer sa cinquième colonne européenne en sus, c'est son plan pour s'emparer de l'Europe sans déclencher de guerre, et faire payer ses difficultés économiques par les Européens, notamment les Allemands.
Le char Leclerc, l'un des symboles de la capacité militaire française. La France vient d'en envoyer en Pologne pour rassurer l'allié et satisfaire à ses obligations de membre de l'OTAN. Mais si la France opérait un retournement d'alliance, le bouleversement dans l'ordre européen serait catastrophique.
Si Poutine réussit son coup, les Américains seront contraints d’intervenir, car ils ne peuvent pas se permettre d'abandonner l'Europe et d'abandonner les alliés de l'OTAN pris dans la nasse, comme la Pologne et les états baltes, car cela remettrait en question la parole de l'allié américain à l'échelle mondiale, et ferait vaciller l’ensemble de l’empire américain. L’intervention consisterait vraisemblablement d’abord en envoi massif de troupes chez les alliés, que la Russie poutinienne chercherait à rendre impossible en les envahissant rapidement, ou en perpétrant des remake du coup de Prague. Il pourrait même, pour montrer sa détermination et tenter de décourager les Américains, lancer une frappe nucléaire ponctuelle, par exemple dans les pays baltes. Vladimir Poutine a déjà dit avoir été prêt à cela lors de l’annexion de la Crimée. Cette manoeuvre destinée à mettre fin au conflit, à sceller le destin de l’Europe entre les mains russes, ne serait en réalité que le début d’un conflit, possiblement d'ampleur nucléaire, car les Etats-Unis, ne pourront pas laisser faire.
Au contraire, si Poutine rate son coup, que Marine Le Pen n’est pas élue et que, plus largement, il ne parvient pas à faire éclater l’Union européenne et l’OTAN de l’intérieur d’ici l’épuisement de son trésor de guerre et à faire main basse sur l’Europe grâce à son réseau pro-russe et à l’intimidation, il devra attaquer faute de pouvoir affronter plus longtemps les sanctions et les difficultés économiques, le compte-à-rebours enclenché l’an dernier arrivant à son terme. Le scénario sera alors assez proche du précédent mais avec cette nuance que la Russie partira d’une position moins favorable, et affrontera une Europe encore soudée et tenue bien en main par l’Amérique. Il pourrait, de même, être poussé à tenter de forcer l’effondrement de l’OTAN en pariant, comme dans le premier scénario, sur un renoncement américain. Pari risqué et qui ne serait sans doute pas payant, mais déboucherait également sur une guerre nucléaire.
Bien sûr, on ne peut pas exclure totalement que Poutine puisse renoncer à prendre le pari d’une guerre nucléaire, ou soit lâché par les élites russes. Mais cela semble très improbable, pour les raisons invoquées ci-dessus à propos de la mentalité actuelle dans les cercles du pouvoir russe : l’élite dirigeante russe n’est pas, comme celle de 1990, composée de vieux apparatchiks nés et ayant grandi dans le pouvoir et un système stable, mais sont des parvenus issus de l’ancienne élite dirigeante du KGB, et qui ont dû se battre pour conquérir le pouvoir et bâtir l’Etat poutinien.
Mais ainsi donc, tant que l’Europe ne sera pas sur le point de tomber entre les mains de Poutine, ce qui n’arrivera probablement pas si le parti russe ne parvient pas au pouvoir dans un grand pays européen (la France, spécialement), et tant que, sans que l’Europe soit entre ses mains, Vladimir Poutine a un trésor de guerre suffisant pour affronter les difficultés économiques, USA comme Russie pourront penser remplir leurs objectifs sans avoir à entrer en guerre. Et donc, ils ne le feront pas.
Mais lorsque ces incertitudes disparaîtront, dans un sens ou dans l’autre (élection ou non de Marine Le Pen, accélération ou non des difficultés économiques russes, fragilisation manifeste ou non de l’unité européenne) il commencera à apparaître clairement pour l’un ou l’autre camp si ses objectifs ne peuvent plus être atteints que par la guerre.
Voici pourquoi il n’y aura vraisemblablement pas de guerre de grande ampleur, encore moins, nucléaire avant le second semestre 2017, c’est-à-dire avant la présidentielle française, qui serait une grande victoire pour le poutinisme, et avant laquelle Poutine n’aurait guère d’intérêt à se lancer dans des opérations militaires contre l’OTAN qui risqueraient de souder l’organisation au lieu de la diviser.
Inversement, il pourrait bien lancer une invasion de l’Ukraine, mais celle-ci ne faisant pas partie de l’OTAN, les USA ne prendraient sans doute pas le risque d’une guerre nucléaire pour elle, car leur crédibilité ne serait pas menacée. Mais la progression de la guerre aux frontières de l’UE permettrait de donner un nouveau coup de fouet au poutinisme en Europe, l’affaire ukrainienne ayant été une occasion de déverser des flots de propagande prorusse.
Mais bien sûr, les choses ne se limitent pas à l’Europe. L’autre grand rival des Etats-Unis, la Chine, menace l’ordre américain sur l’autre flanc. En somme, l’axe sino-russe reproduit l’Axe nippo-allemand, comme je l’avais souligné dans mon précédent billet.
Cependant, je ne pense pas, malgré les récents éclats de voix en mer de Chine, que la Chine déclenchera une guerre avant 2017. Elle n’y a absolument aucun intérêt, et peut d’autant plus estimer pouvoir atteindre par des voies moins hasardeuses ses intérêts stratégiques que la situation européenne promet d’offrir une belle diversion pendant encore un moment, temps dont elle a besoin pour consolider ses positions et moderniser et équiper mieux ses forces armées dans l’optique d’une confrontation. Ce qui colle d’ailleurs avec le pattern décelé dans le précédent billet, qui donnait pour la Chine une date probable d’agression extérieure pour quelques années plus tard que la Russie.
Enfin, concernant les Etats-Unis, j’ai déjà évoqué il y a quelque temps les difficultés économiques que je pensais à venir, vraisemblablement en 2016. Au sein de la phase descendante du Kondratiev dans laquelle nous sommes, la FED tente de contrer les effets inévitables de cycles économiques longs et nécessaires par des politiques contreproductives de bulles. Celle créée pour échapper à la crise de 2000 a abouti à la crise de 2008, et celle créée pour échapper à 2008, qui a donné l’illusion d’une économie américaine rétablie, conduira vraisemblablement à une nouvelle crise en 2016, reproduisant en cela le même schéma économique et d’interventions de l’Etat et de la Réserve fédérale qu’avec la crise financière de 1921, à laquelle succéda la crise de 1929 et enfin la récession de 1937. Ces difficultés pourraient contribuer au déclenchement d’un conflit de grande ampleur en mettant l’Amérique dans un état de fébrilité, par exemple devant l’imminence de la fin du statut de monnaie de réserve du dollar.
Ainsi donc, l’analyse géopolitique stricte semble s’accorder avec la logique des schémas évoqués dans mon précédent billet, et la date d’éclatement du conflit mondial aux environs de 2018-2019 correspondre.
Ce qui nous amène à la question : ce conflit sera-t-il nucléaire ?
Je réserve mes réflexions sur le sujet pour mon prochain billet.
Addendum 1 : Pour ceux qui veulent en savoir plus sur le risque de guerre à brève échéance, voir ce billet récent.
Addendum 2 : ceux qui veulent en savoir plus sur le sujet et notamment les schémas historiques qui étayent ces prédictions pourront utilement consulter mon dernier livre. Plus d'informations à ce sujet ci-contre à droite.