Depuis quelques mois maintenant, on nous parle beaucoup de la reprise de l’économie américaine, bordées de chiffres à l’appui. Je n’ai, malheureusement, ni le temps ni les compétences nécessaires à l’analyse de ces chiffres pour pouvoir les discuter, mais je dois dire que mes quelques connaissances en économie, et ma fréquentation intellectuelle de l’Ecole autrichienne, ont tendance à me rendre très dubitatif à l’idée que la planche à billet de la FED et les plans de relance keynésiens soient capables de remettre d’aplomb une économie rendue mal en point par les précédentes interventions de l’Etat et de la banque centrale
Fort heureusement, des gens ont ces compétences et prennent le temps de faire cette analyse. C’était, la semaine dernière, le cas de Charles Gave, qui a pointé les contradictions des données en provenance des Etats-Unis.
, et m’ont rappelé cette autre analyse dont j’avais pris connaissance au début de l’année et pointant ce fait que de nombreux indicateurs montrent aujourd’hui une situation semblable à ce qu’elle était juste avant la crise de 2008.
Je ne suis pas économiste, disais-je, et je manque des connaissances nécessaires à l’analyse des marchés sur quelques jours ou quelques mois. En revanche, je suis historien, et comme mes lecteurs commencent à le savoir je m’intéresse beaucoup aux schémas de longue durée, c’est pourquoi mon cycle économique « préféré » est le plus long : le cycle de Kondratiev, complété par la théorie des grappes d’innovation de Schumpeter.
Je n’en expliquerai pas le détail, l’article Wikipedia à ce sujet étant bien fait.
Néanmoins, je reprendrai la question là où l’article s’arrête, à savoir : où en sommes-nous ?
Le petit schéma ci-dessus, figurant dans l’article Wikipedia, montre comme dernière grappe d’innovation en date celle qui a marqué le monde durant les années 1980 et 1990 : l’apparition d’Internet et les grands progrès des télécommunications, la démocratisation de l’informatique.
Durant la phase ascendante, la rapidité des innovations et leur rentabilité, alors que l’inventivité humaine conquiert rapidement les nouvelles terres technologiques découvertes, attire les investisseurs par sa promesse de rentabilité. A mesure que cette rentabilité s’affirme, de plus en plus d’investisseurs orientent leurs capitaux vers les secteurs en expansion. Mais, naturellement, l’innovation finit par trouver ses limites technologiques et scientifiques, et à ralentir : il n’y a pas un bond comparable entre l’absence de téléphone cellulaire et l’apparition du téléphone cellulaire et entre le téléphone cellulaire et le Smartphone ; il n’y a pas de bond comparable entre l’absence d’Internet et l’apparition d’Internet et entre l’apparition d’internet et l’augmentation du débit d’Internet. Et lorsque l’augmentation de l’investissement dépasse la capacité d’innovation, il y a alors surinvestissement, bulle et krach. Cette bulle est apparue aux Etats-Unis, épicentre de l’innovation technologique, et a éclaté en 2000.
Avant de poursuivre, une remarque : la justesse du cycle de Kondratiev-Schumpeter est parfois contestée en raison de la variabilité de la durée des cycles en fonction des pays. Il me semble que l’objection se tient, mais peut être réduite si l’on suit la logique du rôle décisif des grappes d’innovation et, partant, que l’on raisonne en terme d’épicentre d’innovation : le cycle serait plus précis, plus nettement observable dans les régions où apparaissent principalement les innovations (Europe au XIXe siècle, Etats-Unis au XXe) et nécessairement moins dans les régions relativement périphériques de l’économie-monde (pour reprendre le concept très opérant de Braudel) ; inversement, la croissance économique produite de manière différée dans les zones plus périphériques est susceptible de brouiller, dans la région de l’épicentre, les manifestations du cycle en soutenant l’économie centrale durant sa phase de récession Kondratiev. Mais une autre cause d’une information contradictoire avec le stade Kondratiev en cours peut être trouvée dans les mesures économiques portées par les gouvernements.
Et, précisément, après l’éclatement de la bulle internet en 2000, le gouvernement américain a refusé la réalité économique, la nécessité de laisser l’investissement se réorienter à la recherche d’innovations prometteuses, ce qui arrive normalement dans la phase descendante d’un Kondratiev, et permet aux innovations nouvelles d’apparaître grâce aux financements de capitaux à la recherche de rentabilité. Le gouvernement américain, aidé par la FED, a donc préféré remplacer la bulle par une autre bulle, qui fut la bulle immobilière américaine, laquelle a éclaté à son tour en 2007-2008, de façon plus catastrophique que celle de 2000 car non seulement elle était encore plus artificielle, mais encore parce que l’état réel de l’économie était celui d’un repli Kondratiev de 8 ans.
Et aujourd’hui, depuis 2008, la FED et le gouvernement américain ont créé de nouvelles bulles, à coup de Quantitative easing, destinées à maquiller par des manipulations monétaires et boursières l’état réel de l’économie , c’est-à-dire une situation de dépression Kondratiev : nous sommes pratiquement au fond du creux de la vague. Nous sommes dans un repli Kondratiev de 15 ans, et il me semble que c’est cela que pointent les chiffres cités par Charles Gave : l’économie réelle américaine est dans une phase de dépression que le gouvernement et la banque centrale tentent d’enrayer. Peine perdue : ces manipulations ne peuvent produire qu’une fausse croissance, à crédit, parfaitement malsaine, et conduire à un nouveau krach encore plus douloureux que le premier.
La véritable croissance, saine, créatrice d’emplois et haussant sensiblement le niveau de vie de la population, n’arrivera qu’avec la prochaine grappe d’innovations. Ces innovations existent déjà : il s’agit des voitures sans pilotes, de l’impression 3D, de la robotique, de la fusion nucléaire, etc. Certaines commencent à être commercialisées, à attirer des investisseurs, ce qui signifie que la réorientation du capital fonctionne et prépare le boom de demain. Mais ces innovations manquent encore de maturité, et il est vraisemblable qu’elles ne seront en mesure de porter une croissance forte que dans une dizaine d’années, vers 2020-2025, ce qui correspondrait tout à fait à la durée moyenne d’un Kondratiev, vingt à vingt-cinq ans après l’éclatement de la bulle Internet.
On pourrait croire que les efforts de la FED et du gouvernement américain ne sont pas absurdes, en ce qu’ils pourraient permettre de maintenir une sorte de croissance artificielle, assistée, en attendant que l’économie réelle prenne le relais grâce aux innovations ; ce serait un triomphe de l’idée de direction économique bien tempérée. Mais je crois que, comme d’habitude, il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas : l’injection d’argent et la permanence de bulles faussent le système des prix et donc la mesure de rentabilité des investissements, et l’on peut donc penser que l’intervention étatique ralentit l’innovation en la privant de capitaux. En outre, rien ne dit que les manœuvres en cours permettront de tenir jusqu’en 2020-2025 sans nouveau krach, encore plus dévastateur que le précédent ; bien au contraire, comme je le disais en ouverture, les indices d’un nouveau krach à venir s’accumulent, ajoutés au fait qu’il y aura dans un peu plus d’un an, entre nous et la crise de 2008, le même laps de temps qu’entre l’éclatement de la bulle Internet et le krach de 2008. Et vue la situation mondiale actuelle, les tensions autour de la Russie, le réarmement de l’Asie, les inquiétudes politiques liées au ralentissement de la croissance chinoise, un tel krach serait vraisemblablement annonciateur de malheurs plus terribles qu’une récession naturelle. En créant des bulles pour limiter, en apparence, les effets normaux d’un ralentissement économique Kondratiev, on s’expose à des chutes brutales là où l’on aurait pu descendre lentement, avec la certitude que cette résignation raisonnable mènerait plus sûrement et plus vite à un nouvel essor, qui pourrait ressembler à un âge d’or si, là aussi, le gouvernement ne s’en mêle pas trop.
Je préciserais que même avec un état qui serait très limité dans ses interventions dans l'économie cela n'empêcherait pas des crises et des bulles se créer. Le capitalisme fonctionne sur le risque et le fait de parier sur une innovation qui fera un flop est une source de crise. La spéculation sur une innovation produit également des quantité de monnaie dans le circuit économique source de bulles. Et cela s'aggrave quand les banques centrales laissent des taux bas trop longtemps.
Concernant Charles Gave:
On peut certes trouver le terme de plein emploi un peu exagéré mais le fait est que la reprise de l'emploi et les créations de places de travail aux USA est bel et bien une réalité. Faudrait pas non plus être naïf et de croire que tout devrait être pour le mieux quand on parle de reprise économique aux USA surtout quand on sait que le pays sort de l'une de ses plus grave crise économique de son histoire.
http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKCN0HS12H20141003
Charles Gave devrait aussi tempérer ses propos en parlant de mensonges sur les chiffres officiels. Surtout que pour les contester il utilise aussi d'autres chiffres officiels. Si le gouvernement ment comme semblerait prétendre Gave comment peut-il être certains que ceux qu'il utilise sont la vérité?
A mon avis il n'y a pas de mensonge mais plutôt des demi-vérités que l'on peut à juste titre contester en les relativisant. On peut effectivement relativiser bien des choses. Il est vrai que le taux d'emploi aux USA est à peu près le même que celui de 1980. Est-ce un signe d'une mauvaise économie qui ne crée pas d'emploi? Là aussi relativisons. En 35 ans la robotisation à pris une place important dans la production industrielle sans parler des délocalisations. De plus l'espérance de vie à aussi augmenté de plus de 10 ans ce qu'il fait qu'il y a bien plus de personnes à la retraite et qui gonflent aussi les chiffres des personnes sans emploi. Ce qui au final relativise pas mal ces chiffres du taux d'emploi que Gave semble dire catastrophique.
Maintenant Guy Sorman qui est économiste est spécialiste des USA évoque les QE par rapport à la reprise économique aux USA. Sorman pense que ni Obama et ses politiques de relances et ni la FED sont responsables de la reprise de l'économie US. Sorman dit ceci:
" ... Il en va de même pour les banques centrales, qui ont joué ou prétendent avoir joué un rôle déterminant dans le redressement, en abaissant les taux d’intérêt à zéro, avant de créer de la monnaie (quantitative easing), après l’échec de la réduction des taux. Il est en fait impossible de démontrer un lien entre ces politiques monétaires laxistes et la reprise de l’économie américaine : les dates ne coïncident pas. Il reste aussi à prouver que cet argent facile n’a pas été mal investi, annonciateur de risques majeurs dans les prochaines années. Enfin, dans le cas des Etats-Unis, on s’interrogera sur le lien entre cette création de monnaie et l’enrichissement spectaculaire d’une poignée de magnats de Wall Street. "
http://www.hebdo.ch/les-blogs/sorman-guy-le-futur-cest-tout-de-suite/le-capitalisme-am%C3%A9ricain-imparfait-et-ind%C3%A9passable
D.J