Ceci est le troisième article que je publie sur Contrepoints sur le sujet du clivage gauche/droite (les deux premiers sont ici et là ). J’aimerais aujourd’hui nourrir mon approche d’éléments concernant l’évolution de l’extrême-droite, qui est plus avancée encore que je ne le pensais.
Dans mon premier article, je notais au sujet de l’extrême-droite : « Après la seconde guerre mondiale, le nationalisme fut repoussé à l’extrême-droite par l’arrivée à droite de… l’internationalisme. Mais un internationalisme de droite […] un internationalisme inquiet, angoissé par l’apparition de deux géants, l’URSS et les États-Unis. L’internationalisme de droite fut donc l’européanisme, la volonté de se rassembler entre européens afin de faire face à la menace du monde sur la civilisation européenne. […] Aujourd’hui, on sent même une ébauche de disparition du nationalisme souverainiste à l’extrême-droite au profit d’un décalage de l’européanisme de la droite vers les réactionnaires : on en trouve des éléments, même si ce n’est qu’embryonnaire, dans la dénonciation du complot « Eurabia », qui voudrait que les élites européennes se sont entendues pour remplacer les peuples d’Europe par une immigration arabo-musulmane et que tous les « populismes » d’Europe s’unissent pour protéger la civilisation européenne en danger ; s’annonce, en fait, l’internationalisme d’extrême-droite. »
Un récent article de Guy Millière évoquant la montée en Europe d’une « internationale néo-fasciste » ayant la Russie poutinienne pour centre de gravité a non seulement confirmé cette opinion, mais m’a poussé à rédiger quelques remarques supplémentaires.
Il est, en effet, remarquable que cette renaissance du parti russe en Europe se fasse aujourd’hui à l’extrême-droite quand, il y a quelques décennies, elle était un trait de l’extrême-gauche : les partis communistes européens étaient alors à la solde de Moscou, et servaient dans le cadre de la guerre froide de masse de manœuvre idéologique et propagandiste à l’URSS. Aujourd’hui, la Russie de Poutine a réussi à récupérer le vieux souverainisme européen, le rêve de « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural », expression chère à De Gaulle mais qui était aussi bien un idéal hitlérien, le dictateur nazi ayant, suivant le témoignage d’Albert Speer, tracé au crayon un trait sur l’Oural délimitant l’espace qu’il entendait asservir à l’Allemagne. S’instaure le rêve d’une Europe sur le modèle de la Russie de Poutine, autoritaire, traditionaliste, hostile au concept de société libre et aux États-Unis (et ce quoique les États-Unis soient un peu moins libéraux chaque année qui passe).
L’européanisme souverainiste est progressivement repoussé à l’extrême-droite, tandis qu’à droite est arrivé, en provenance de gauche, l’européanisme social, avec « l’Europe qui protège » de Nicolas Sarkozy. À gauche, le projet porté est désormais carrément l’Europe socialiste, avec la volonté de faire payer les riches européens, à savoir les Allemands. Cette évolution devrait se confirmer et se renforcer dans les années qui viennent.
C’est important car, si concernant les préoccupations économiques, le Front National devient l’héritier du Parti communiste, lui-même réduit à l’état de zombie perfusé par le Parti socialiste et vivant de la rente, allant s’amenuisant, des fiefs locaux hérités de la grande époque, il en est aussi l’héritier par la vision du monde et la perception géopolitique des alliés et des ennemis. L’arrivée à la tête de l’extrême-droite de Marine Le Pen a permis à cette évolution de s’accélérer, après avoir été freinée par les schémas mentaux de Jean-Marie Le Pen, dont la culture politique profonde était l’anticommunisme et le nationalisme.
Cette évolution de l’extrême-droite est évidemment inquiétante, mais une nouvelle fois je voudrais souligner qu’elle peut aussi être une belle opportunité : en rameutant de ce côté de l’échiquier tous ceux de l’autre extrême aux idées voisines, elle permettra d’y voir plus clair dans notre spectre politique, participant ainsi au basculement que j’annonçais dans mon précédant article sur le sujet ; demeurera à l’extrême-gauche un noyau trotskiste sans doute un peu perdu idéologiquement et décidé à ne rester à l’extrême-gauche que par habitude, cible impossible à toucher pour les libéraux, et une population politique culturellement opposée à l’extrême-droite, sans avoir de véritable doctrine autre que le rejet du système, pour laquelle la vision libertarienne du monde pourrait être une alternative séduisante. À condition de développer un discours simple et bien structuré.
Pour les implications géopolitiques de l’émergence de cet « internationalisme d’extrême-droite », je renverrai simplement au billet que je leur ai consacré sur mon blog.