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Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
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30 octobre 2014

Le Yuan remplacera-t-il le dollar ? (ou la vision américaine des rapports internationaux)

A l’occasion de la publication de deux précédents billets consacrés au probable futur effondrement du système économico-politique chinois, sur ce blog et sur Contrepoints, j’ai reçu de nombreux messages mettant en doute la possibilité d’un tel effondrement et, surtout, défendant l’idée que le gouvernement chinois amassant depuis des années un stock d’or dans ses coffres, le Yuan pourrait bientôt devenir la monnaie de référence mondiale, consacrant ainsi la fulgurante ascension de ce nouveau géant et reléguant les Etats-Unis, privés de leur privilège du dollar et lourdement endettés, notamment envers la Chine, au rang d’ex-hyperpuissance, condamnée à devenir spectatrice du couronnement de son rival.

Cette idée du remplacement, à moyen terme, du dollar par le yuan est une opinion qui semble assez répandue depuis quelques années, non seulement chez les anti-américains suffisamment lucides pour ne plus croire que la Russie soit un rival sérieux des Etats-Unis mais encore assez  partisans du tout-sauf-l’Amérique pour trouver dans un pays dirigé par un Parti Communiste le champion qui pourrait porter l’alternative, mais aussi chez des commentateurs simplement convaincus que la puissance américaine est de toute façon sur le déclin après vingt ans d’hégémonie mondiale, que nous allons résolument vers un ordre multipolaire, et que le premier candidat au dépassement des USA est la Chine.

En réalité cette hypothèse m’apparaît tout à fait invraisemblable.

Oh, certes, il n’est pas invraisemblable que les dirigeants Chinois, s’étant constitué l’un des plus importants stocks d’or du monde, décident soudain d’asseoir la valeur du yuan sur ce stock d’or et d’en faire ainsi un authentique et déclaré concurrent du dollar.

Ce qui est invraisemblable c’est de croire que les Etats-Unis laisseraient faire une chose pareille, et laisseraient le dollar être marginalisé.

Tout d’abord il faut noter que les Etats-Unis ne seront pas du genre à se coucher. Jamais. Il font partie de ces quelques nations de l’Histoire, je l’ai déjà évoqué, qui ne conçoivent tout simplement pas la multipolarité. Rome était l’une d’entre elles, comme l’explique remarquablement Paul Veyne dans un article disponible en ligne intitulé Y a-t-il eu un impérialisme romain ?  Je recommande vivement la lecture de cet article, car la description de la mentalité romaine en matière de politique internationale est étonnamment évocatrice de  celle de l’Amérique.

En effet pour les Etats-Unis, comme jadis pour Rome, il n’y a que deux possibilités acceptables : être seul, ou être le maître. Être seul fut la première doctrine géopolitique américaine, la doctrine Monroe, établie en 1823, qui voulait interdire toute intervention européenne sur le continent américain, qui serait considérée comme une agression par la jeune puissance. La contrepartie de cette doctrine géopolitique était que les Etats-Unis demeureraient neutres vis-à-vis de l’Europe et se garderaient d’intervenir dans ses propres affaires.

Mais durant la deuxième moitié du XIXe siècle s’épanouit la « première mondialisation » qui fit apparaître clairement à l’Amérique ce fait qu’elle ne pourrait pas demeurer ainsi seule, isolée entre ses deux océans. Vint donc le « Corollaire Roosevelt » à la doctrine Monroe, qui fit pratiquement dire à celle-ci l’inverse de ce qu’elle disait jusqu’à présent : désormais les Etats-Unis s’estimeraient fondés à intervenir hors d’Amérique partout où leurs intérêts seraient menacés. Ne pouvant être seule, l’Amérique devait être hégémonique. Par le discours de Roosevelt,  en 1904, les USA s’autoproclamaient gendarmes du monde. A aucun moment de son histoire, depuis son indépendance, l’Amérique ne s’est perçue comme une nation parmi d’autres.

Cette mentalité, précisément, vient de l’Indépendance : pour le peuple américain, connaître à nouveau la dépendance envers une puissance étrangère serait quelque chose d’équivalent à la mort et, en définitive, le seul moyen de n’être dépendant de personne, faute d’être isolé de tous, est d’être un suzerain universel.

Voilà la ligne directrice, le principe des principes de la politique internationale américaine. Tous les autres principes, les idéaux sont subordonnés à celui-ci. C’est pour cette raison que l’Amérique a soutenu des dictatures durant la Guerre froide. C’est pour cette raison que les Etats-Unis n’abandonneront jamais le privilège exorbitant du dollar qu’ils ont gagné à la fin de la Seconde guerre mondiale, que ce soit au profit de la Chine, ou de qui que ce soit d’autre.

On se demandera : les USA auraient-ils les moyens d’empêcher cela ? A vrai dire, fondamentalement la question ne se pose pas : même si ses moyens étaient insuffisants, l’Amérique prendrait le pari, car elle considère cela comme une question de vie ou de mort.

Mais en réalité ils ont ces moyens. J’ai déjà évoqué dans un précédent billet la disproportion des forces entre la Chine et les Etats-Unis (et même entre Chine et Russie alliées contre les Etats-Unis). Dans une partie de poker, le vrai gagnant à la fin est celui qui a une arme. Si c’est bien un projet des dirigeants chinois que de tenter d’imposer le Yuan comme alternative au dollar, ils auront beau jouer aussi subtilement que possible, le but final serait en soi, étant donnée la conception américaine des rapports internationaux, une déclaration de guerre totale envers les USA, une guerre que, vue sa situation stratégique et ses capacités militaires, la Chine serait incapable de gagner.

Le drame de cette affaire est que je ne crois pas, précisément, Chinois et Américains capables de se comprendre sur ce plan-ci, et les Chinois pourraient bien, pensant jouer une partie « classique » avec un joueur capable d’accepter de perdre, chercher à pousser leur avantage malgré tous les avertissements possibles.

C’est pourquoi, pour reprendre la formule précédemment employée, la Chine ne surpassera pas les Etats-Unis, ni le Yuan ne remplacera le dollar, du vivant des Etats-Unis.

Après…

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Commentaires
O
Et en occident, que sont nos retraites devenues ? <br /> <br /> <br /> <br /> http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/l-edito-economique/videos/la-securite-sociale-emprunte-a-la-chine-2357549<br /> <br /> <br /> <br /> On comprends mieux le but du voyage en Chine de janvier 2015 de notre Premier Ministre...<br /> <br /> <br /> <br /> La Chine et les chinois sont patients.
Répondre
O
Monsieur Fabry,<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai la chance de voyager régulièrement en Chine depuis un petite vingtaine d'années. En 2002, la lecture d'un livre écrit en 2001 - abordant les mêmes thèses que les vôtres avec 10 ans d'avance - m'avait convaincu que la fin de la Chine était proche :<br /> <br /> <br /> <br /> http://books.google.fr/books/about/The_coming_collapse_of_China.html?id=NDSan-tSNJoC<br /> <br /> <br /> <br /> Et bien non, j'avais tort. La Chine est toujours debout. Son effondrement imminent en 2001 n'a pas (encore ?) eu lieu.<br /> <br /> <br /> <br /> Par contre, nous avons connu d'autres effondrements, mais non pas en Chine.<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne vous ferais pas l'affront de vous parler de l'épouvantable effondrement des Twin Towers, mais de l'atroce effondrement de l'économie américaine de septembre 2008, suivi quelques années plus tard de l'économie Européenne :<br /> <br /> <br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_bancaire_et_financière_de_l'automne_2008#Septembre_2008<br /> <br /> <br /> <br /> Lire sous votre plume "la Chine ne surpassera pas les Etats-Unis, ni le Yuan ne remplacera le dollar, du vivant des Etats-Unis" me fait vous renvoyer à une simple requête Google :<br /> <br /> <br /> <br /> https://www.google.fr/search?client=opera&q=chine+dépasse+les+états-unis<br /> <br /> <br /> <br /> Bien entendu, ce n'est qu'un épisode dans le long fleuve de l'Histoire de ce pays 5 fois millénaires. La Chine et les chinois sont patients. <br /> <br /> <br /> <br /> Il y a 20 ans tous les membres de ma belle famille n'avaient pas de quoi s'acheter un vélo. Ils étaient paysans dans l'arrière pays, à 12 heures de bus chaotique de la première métropole du bord de mer. En 2008 s'ouvrait une toute nouvelle autoroute qui réduisait le parcours à 8 heures. Depuis le 26 décembre 2014, et l'ouverture d'une nouvelle gare de TGV, ce "trou pommé" est maintenant à seulement 2 heures de train fonçant à 250 km/h de l'une des plus grandes métropoles du monde.<br /> <br /> <br /> <br /> Aujourd'hui, TOUS les membres de ma belle famille ont une voiture. La plupart d'entre eux possèdent plusieurs propriétés immobilières. La retraite (versée par un fonds de retraite local pour les paysans locaux) de mon beau-père (ex tout petit paysan chinois) a progressé de +30% en 3 ans. Si toute sa vie il fut pauvre, parvenu aujourd'hui à la retraite, il est maintenant plus riche qu'un smicard local.<br /> <br /> <br /> <br /> Et en occident, que sont nos retraites devenues ?<br /> <br /> <br /> <br /> Monsieur Fabry, je comprends que certains faits puissent faire mal, mais ce sont les faits, et seulement les faits.<br /> <br /> <br /> <br /> L'Histoire s'écrit avec des faits, pas avec des vœux pieux.<br /> <br /> <br /> <br /> Oui, le Yuan adossé à l'or - comme jadis le Dollar AVANT le 15 août 1971 - sera LA monnaie de référence.<br /> <br /> <br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Dollar_américain#1971-1973_:_p.C3.A9riode_de_transition<br /> <br /> <br /> <br /> Monsieur Fabry, on n'arrête pas une armée de 1 milliard 600 millions de fourmis travailleuses et économes.
Répondre
Z
http://www.24hgold.com/francais/actualite-or-argent-des-images-qui-valent-des-milliers-de-mots.aspx?article=3582109466G10020&redirect=false&contributor=Jeff+Clark.&mk=2<br /> <br /> Les petites images ci-dessus valent bien de longs discours ou bien le papier sur lequel elles sont imprimées, c'est à dire pas grand chose ! Il est pourtant une valeur que tout un chacun connait (même intuitivement) c'est l'énergie ! On peut, pour simplifier, la traduire en kilowatts/heure, ce qui nous amène à affirmer que ce kW/h est strictement le même à Londres, Moscou, Washington, Paris ou Berlin, sans oublier Pékin et ce avec une précision qu'aucune monnaie n'a jamais atteint, n'atteint pas et n'atteindra jamais sauf si c'est elle même. <br /> <br /> Je laisse à l'imagination de chacun le soin de décrier, d'approuver, de dénigrer ou de s’enthousiasmer à cette idée, de la développer ou de l'enterrer . . . avec ricanements, applaudissements ou encore indifférence .
Répondre
L
cher monsieur, j'ai découvert vos articles et votre blog ce jour. Bien qu'aux antipodes de vos idées (je suis un nationaliste social-royaliste, la future extrême-gauche si j'en crois votre -brillante!- analyse du clivage droite-gauche), je trouve tous vos articles très intéressants. Au plaisir de vous lire encore.
Répondre
L
Vive les BRICS ! La france aurait intérêt à revoir ses stratégies géopolitiques.... <br /> <br /> <br /> <br /> Concernant votre article sur Contrepoints à propos de la critique du Parti de gauche sur un jeu vidéo , <br /> <br /> <br /> <br /> Visiblement, vous n’avez rien compris. La plupart des sites de jeux vidéos reconnaissent la qualité des critiques de Mélenchon et Corbière, qui ont affirmé que le jeu vidéo est une forme d’expression artistique à part entière, aujourd’hui décriée comme le fut la BD autrefois. Le débat démocratique est-il encore possible dans ce pays sans que l’on se fasse insulter de « ringards » , sans que l’on se fasse juger à l’emporte-pièce ?<br /> <br /> Bien à vous.
Répondre
Historionomie - Le Blog de Philippe Fabry
  • Blog de Philippe Fabry, historien-théoricien. Ce blog reprend notamment ses travaux relatifs aux "lois de l'Histoire" et leur emploi pour mieux analyser le monde actuel. Tous les articles sont librement reproductibles, avec la mention www.historionomie.com
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