J’allais aujourd’hui me lancer dans la rédaction d’un billet sur la situation au Moyen Orient, mais au moment de parler de Daech/l’Etat islamique, j’ai hésité sur le terme à employer et me suis dit qu’il fallait commencer par là.
Après avoir parlé un temps d’Etat Islamique, ou EI, les médias français emploient désormais quasi-exclusivement le terme Daech, ou Daesh, qui a le même sens puisqu’il s’agit de l’acronyme arabe pour « Etat Islamique ». Ce changement d’appellation n’est pas seulement une astuce journalistique permettant de réduire le nombre de caractères à inscrire dans les fils d’info en continu, c’est une position officielle, voulue par le Ministre français des Affaires étrangères, afin de ne pas « légitimer » l’organisation terroriste et, l’on comprend, ne pas stigmatiser les musulmans et ne pas entretenir au sein des populations occidentales, spécialement française, la méfiance voire la haine de ceux-ci.
Cette précaution de langage n’est ni incompréhensible ni injustifiée. En tant que catholique je suis le premier à bondir quand on m’explique que ma religion est mauvaise et que les croisades, les guerres de religion ou le procès de Galilée en sont un bon exemple. Et je ne bondis pas alors parce que, suivant un adage populaire, « il n’y a que la vérité qui blesse », mais précisément parce qu’il est stupide de considérer représentatif de ma religion des phénomènes qui n’ont rien à voir avec son enseignement, et tout avec des structures sociales spécifiques.
Ainsi Anaxagore de Clazomènes fut accusé d’impiété, dans une Grèce antique dont bien des libres penseurs ont prétendu opposer la tolérance religieuse à un supposé obscurantisme médiéval qui serait le propre du christianisme, pour avoir expliqué que les étoiles n’avaient rien de divin mais étaient des boules de feu et que la Lune était un caillou, accusation qui n’a rien à envier au cas Galilée. Le procès fait à Anaxagore comme celui fait à Galilée tenaient à un type socio-religieux de société spécifique, pas aux cultes grecs ou à la religion chrétienne. Celles-ci n’ont été que l’habillage momentané, culturel, de ces phénomènes sociaux d’obscurantisme, de superstition et d’intolérance collectifs.
De la même façon, je conçois donc parfaitement que nombre de musulmans soient blessés par l’idée que le phénomène terroriste actuel au Moyen-Orient soit assimilé à leur religion par cette appellation « Etat Islamique », alors que les préceptes qu’ils tentent d’appliquer dans le cadre de leur propre vie spirituelle ne les conduirait jamais à égorger qui que ce soit.
Néanmoins force est de constater que, si le djihadisme, en tant qu’il est un fanatisme religieux millénariste, n’est pas un phénomène exclusivement propre à l’Islam d’un point de vue historique, il l’est d’un point de vue contextuel. Le fanatisme religieux millénariste, en particulier à une telle échelle, est aujourd’hui, est depuis presqu’un demi siècle, une maladie du seul Islam. Une maladie dont, je l’ai dit, je suis convaincu qu’il se défera, mais qui pour l’instant en fait partie (sans bien sûr qu'il s'y résume).
J’ai dit dans mon précédent article sur le sujet combien je crois important de renforcer le dialogue entre l’Occident et ses populations musulmanes, afin de prévenir, sinon dans leur existence du moins dans leur ampleur, les désordres probables qui marqueront le climax du phénomène djihadiste. Pour autant je pense que nier l’existence d’un problème, faire comme si le djihadisme en général et Daech en particulier n’avait rien à voir avec l’Islam n’aidera pas à améliorer les choses. Le fait est, je crois l’avoir démontré dans le précédent article, que nous ne sommes pas là dans la simple superposition d’un phénomène social et d’une religion qui en serait l’enveloppe culturelle, mais face à un stade d’une trajectoire évolutive de la religion elle-même : aujourd’hui l’islam comme hier le judaïsme. Appeller Daech l’Etat Islamique est, dans ces conditions, un moyen de sensibiliser les musulmans, de leur faire prendre conscience du caractère historique, pour leur religion, des temps qu’ils vivent, et les aider, me semble-t-il, à se préparer à résister à la vague qui vient.
C’est pourquoi, dans mes articles sur le sujet, je continuerai à parler d’Etat Islamique. Si j’ai des lecteurs musulmans qu’ils sachent, par celui-ci, que ce n’est pas une insulte, ni un moyen de les assimiler aux terroristes.